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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 17 février 1861, dimanche matin, 8 h. ½

Bonjour, mon pauvre souffrant, bonjour bien, bien aimé, bonjour. J’ai bien regretté hier de t’avoir provoqué à parler plus que tu ne pouvais, mon pauvre adoré et je m’en faisais le reproche chaque fois que je me réveillais. Pourvu que cette petite excitation ne t’ait pas empêché de dormir ? Cette pensée me tourmente plus que l’importance du mal en lui-même qui n’en n’a pas et n’en peut pas avoir d’autre que de te gêner et de te préoccuper, ce qui est beaucoup trop mais ce qui n’intéresse, en aucune manière, les sourires de ta vie. Cependant, l’idée que tu souffres m’est tellement insupportable que je hâte de tous mes vœux le moment où tu changeras de milieu. Pour cela, il n’est rien dont je ne sois capable, trop heureuse de contribuer pour ma part au rétablissement de ta chère santé qui est ma vie même. Aussi, mon adoré bien-aimé, je te prie de ne pas t’occuper de moi, dans les diverses combinaisons qui se présenteront peut-être encore entre toi et ta famille, sûr que tu es d’avance que j’adhère à tout ce que tu voudras, quand tu voudras, comme tu voudras. Pourvu que ta santé se raffermisse et que la gaité et le bonheur te reviennent, je suis la plus heureuse des femmes et je remercie Dieu. Je ne t’ai pas encore parlé de l’adorable page que tu as écrite hier, sous l’inspiration de notre doux anniversaire [1], mon cher bien aimé, tant je suis préoccupée de la pensée de te guérir, c’est-à-dire tant je t’aime car c’est la même chose. Et pourtant, Dieu sait avec quelle émotion attendrie et religieuse je l’ai lue et relue cette page, cette page que je croirais dictée par mon âme, tant elle ressemble à tout ce que j’ai d’amour de foi et d’espérance dans le cœur. Merci mon adoré, d’avoir si bien dit pour toi et pour moi. Merci. Je t’aime, je te souris, je te bénis sous les yeux de nos deux bien aimés. Au moment où je prends ces deux anges à témoin de mon amour et où j’implore leur protection pour toi, un rayon de soleil charmant arrive jusqu’à ma plume et semble la caresser et lui dire : confiance, amour, bonheur. Je crois à ce présage et je veux te le faire partager, mon cher bien-aimé. Oui, confiance, amour bonheur, tout cela est contenu dans un rayon de soleil venu du ciel, dans un rayon de santé promis par Dieu, dans un rayon d’amour de mon âme à la tienne. Je baise tes chers petits pieds et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16382, f. 46-47
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette
[Blewer]

Notes

[1« 16 février 1861 / Une année de plus, un nœud de plus. Le fil de ta vie et le fil de la mienne sont tordus et mêlés, par le doigt même de Dieu. Ainsi confondus, ils ne peuvent se rompre qu’ensemble. Ce départ de la vie ensemble, cette arrivée dans l’éternité ensemble, voilà ma prière et mon espérance. S’aimer comme nous nous aimons, c’est de l’indissolubilité pour la tombe même, et notre mort ne sera autre chose qu’une union sublime dans la profondeur. Sois bénie, ma bien-aimée. Il me semble qu’au moment où je t’écris, il y a une ombre sur cette page et que cette ombre est celle des ailes de nos deux anges qui sont là-haut. Ils regardent et ils lisent ce que je t’écris, et ils sourient. » (éditée par Gérard Pouchain, ouvrage cité, p. 140.)

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