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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 août [1844], jeudi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour papa GORIOT, bonjour, toi, bonjour, vous, comment que ça va aujourd’hui ? Je vous dirai, mon cher petit bien-aimé, si vous ne le savez pas, que je vous aime comme une dératée. Je vous l’aurais appris plus tôt, si depuis ce matin je n’avais été occupée à fouiller dans mes grandes armoires pour y trouver des morceaux pour raccommoder mes zaillons. Il faut une grande dose de raison et de misère pour me décider à feuilleter d’horribles guenilles les unes après les autres pour tâcher d’en extraire quelque chose de hideux. Mon antipathie pour les vieux chiffons est encore plus grande que pour les vieux papiers ; aussi tu penses dans quel état je suis depuis ce matin. Je ne dérage pas. Sans parler d’un rhume de cerveau artificiel que je me suis donné en secouant tout ce poivre, tout ce camphre et toutes ces poussières diverses. J’ai le nez en compote et l’esprit aussi. Car je t’écris un hideux margouillis qui ne ressemble à rien qu’à de la stupidité en marmelade. Baise-moi. Aussi c’est ta faute. Pourquoi faire, veux-tu, que je te gribouille mes trente-six infortunes de Jocrisse [1] jour par jour, heure par heure, minute par minute ? Tu vivrais très bien sans cela et moi je ne peux pas t’en aimer davantage.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 81-82
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette


22 août [1844], jeudi après-midi, 2 h. ½

Je ne veux pas tarder plus longtemps, mon adoré, à te raconter mon chagrin. Hélas ! l’appartement en question est trop petit ! Du moins chaque pièce est trop petite pour contenir mon lit et pas moyen d’en réunir deux dans une parce que ce sont des murs et non des cloisons. Du reste, aucune humidité, un petit jardin charmant, et toutes les commodités possibles, avec et sans calemboura. J’en pleure de regret et de dépit. Et dire encore que tu voulais si bien, pauvre ange, c’était la première fois que je te voyais comprendre pour moi, pauvre recluse, le bien-être de l’air, des arbres et des fleurs. Et dire que ta bonne volonté et ton empressement à me satisfaire s’arrêtent devant un affreux gros mur. Vraiment, c’est irritant. Enfin, n’en parlons plus jamais, puisque cela ne se peut pas, cela ne ferait que renouvelerb mon chagrin. À propos de chagrin, tu vas me reprendre le portrait de ce cher petit faussaire de Toto [2]. Cela ne me fait pas rire quoique je me soumette à cette restitution. Pourvu encore qu’on ne vous le prenne pas comme celui de Charlot. Dans ce cas-là, il vaudrait mieux encore me le donner à moi que de le laisser voler par on ne sait qui. Pense à cela, mon adoré, et dis-toi que les plus beaux jours de ma vie sont ceux qui me rapprochent le plus de toi et me donnent le plus de toi et des tiens.
Je t’aime, mon Victor adoré. Je t’aime du plus tendre et du plus sincère amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16356, f. 83-84
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « calembourg ».
b) « renouveller ».

Notes

[1Jocrisse est un personnage de valet niais. Le nombre de trente-six est peut-être une erreur de Juliette faisant référence à la collection des Vingt-six infortunes de Jocrisse (1814).

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