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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 février [1845], dimanche matin, 11 h. ½

Comment vas-tu, mon pauvre bien-aimé ? As-tu bientôt fini ton discours [1], mon cher petit bien-aimé ? J’en serais bien heureuse pour toi, mon pauvre adoré, car je sens ce que cette contrainte de travailler à jour fixe doit avoir de pénible et de fatiganta pour toi. Je me suis couchée à minuit et demib dans l’espoir toujours de te voir, et puis il me semblait que j’étais moins loin de toi en veillant avec toi, en pensant à toi et en t’aimant de toute mon âme.
Je te dirai, mon Toto, que j’ai été assez vivement contrariée ce matin. Le guignon me suit partout et prend toutes les formes et tous les noms, même celui harmonieux de Mme Duchin. Voilà ce que c’est : à dix heures on m’apporte une lettre de Claire venue par la poste mais dont le timbre se trouvait en dedans de la lettre au lieu d’être dessus, la lettre décachetée du reste. Je fais venir la portière pour m’expliquer ce phénomène, elle me répond des billevesées : le facteur qu’elle ne sait pas, etc, etc. Puis un moment après, elle revient me dire que c’est un malentendu et que la lettre a été remise à une Mme Duchin qui demeure dans la maison, laquelle Mme Duchin l’a ouverte, pensant que c’était pour elle. Tout cela n’a pas d’autre gravité que d’informer les Duchin quelconquesc de mes affaires. Justement, Claire me parle de son père [2] qui lui a écrit et qui va mettre Charlotte chez Mme Marre [3]. Tu me diras qu’à moins de savoir de point en point de quoi il est question, on ne peut guère deviner au juste ce qui en est. Cependant, j’ai fait une semonce à la portière pour que cela n’arrive plus une autre fois. Voilà, mon cher bijou, ma mésaventure de ce matin. Je suis prête à en accepter mille autres, pourvu que, comme compensation, tu viennes tout de suite me baiser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 113-114
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « fatiguant ».
b) « et demie ».
c) « quelconque ».


23 févriera [1845], dimanche après-midi, 3 h. ½

Je suis auprès de toi, mon doux bien-aimé, autant qu’on peut y être par le désir, par la pensée et par l’amour. J’attends que tu viennes m’apporter à copier. Ce sera pour moi trois joies dans une. La première de toute, te voir, les autres, copier les admirables choses que tu as écrites et celle de savoir que tu as fini cette lourde tâche. Je t’attends avec impatience, mon cher petit bien-aimé, tu le comprends sans peine.
Tu dois avoir bien besoin de baigner tes beaux yeux ? Je regrette de ne pouvoir pas te porter ton eau, ton gargarisme, ton bouillon, ton raisin, tout ce qui peut te soulager, te rafraîchirb et te restaurer. Je sens cette privation jusque dans le fond de mon cœur. Ce serait un bonheur inexprimable pour moi de te soigner et de te rendre tes travaux lesc moins rudes et lesc moins fatigants possible. Cela ne se peut pas. Le bon Dieu ne veut pas qu’il y ait de bonheur parfait sur la terre et je sens que je n’aurais rien à désirer s’il m’était donné de passer ma vie auprès de toi.
Jour, mon petit Toto, jour, mon cher petit o, quand donc que je vous verrai ? C’est bien long vingt-quatre heures sans voir son Toto, vous ne savez pas cela vous, mais moi, je le sais trop. C’est à peine si je vois à t’écrire avec la grêle et la pluie qui fouettent mes carreaux. Je ne m’en plains pas autrement parce que je pense que c’est un commencement de printemps et Dieu sait si je compte les jours qui doivent amener du vert, des feuilles et des fleurs dans mon jardin. Et puis ce sera très heureux encore pour jeudi, parce que le dégel sera tout à fait fini pour peu que cette pluie et cette grêle durent deux jours. Tout cela en somme m’est égal. Ce qui ne me l’est pas, c’est que je ne te vois pas et que je te désire de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 115-116
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « 23 juillet ». La date a été corrigée par une main différente ce celle de Juliette.
b) « raffraîchir ».
c) « le ».

Notes

[1Victor Hugo prépare alors son discours qu’il prononce le 27 février 1845 en réponse au discours de réception de Sainte-Beuve à l’Académie française.

[3Charlotte Pradier entre à la pension de Saint-Mandé, où réside également sa demi-sœur Claire Pradier, le 31 mars 1845.

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