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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 mars 1843

6 mars [1843], lundi matin, 11 h. ¾

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour mon ravissant petit homme, bonjour le plus joli, le plus beau, le plus aimable et le plus adoré des hommes. Bonjour, bonjour, je t’aime.
J’espère que tu auras vu ton M. le premier [1] et que tu lui auras fait comprendre de quoi il s’agissait ? Vois-tu, mon pauvre ange, je le sais par moi, nul ne résiste à ta parole si mesurée et si grave, à ton regard si doux et si puissant. Je parle de gens qui ne sont pas des fous stupides ou d’infâmes canailles. Il est très essentiel que tu voies ce vieux président et même les juges si cela se pouvait dans un moment comme celui-ci. Il est bien à regretter que tu ne puisses pas assister à l’audience de demain. Je comprends l’impossibilité de la chose mais à ta place je ferais l’impossible pour emporter cette affaire de prime-saut et qu’il n’en soit plus question.
Pauvre mouche du coche que je suis, je bourdonne et je te harcèle de mes conseils comme si ce que je dis pouvait influer sur ta volonté ou lever les difficultésa qui l’entravent. Je te demande pardon, mon cher adoré, de ce petit ridicule qui vient, non de ma suffisance, car j’ai plus que personne la conscience de ma nullité, mais de l’excès de ma tendresse qui me fait prendre à cœur tout ce qui te touche avec une ardeur et une passion extrêmes.
J’ai reçu une lettre de Mme Krafft pour une demande de place à laquelle je n’ai absolument rien comprise. Tu la verras ce soir, si tu veux, mais cela importe peu.
Quelle joie tu m’as donnée cette nuit mon adoré, au milieu de toutes nos tracasseries et de toutes nos inquiétudes en demandant tes lettres. Tu les lis donc, mon cher adoré, malgré tes beaux yeux malades et tes affaires sans nombre ? Ô soit béni mon cher bien-aimé autant que tu es aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 207-208
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « difficultées »


6 mars [1843], lundi soir, 11 h.

Je ne sais plus comment je vis, mon pauvre bien-aimé, c’est à peine si je te vois un quart d’heure sur vingt-quatre et ce pauvre petit moment est si plein de toutes sortes de choses inquiétantes et irritantes pour tes affaires que c’est à peine si j’ai le temps de t’embrasser au vol et en toute hâte. Enfin, mon cher adoré, il faut espérer que tout cet encombrement va s’éclaircir et que nous pourrons nous aimer en chair et en os comme deux bons petits amoureux que nous sommes encore, n’est-ce pas mon adoré ? Pour moi, j’en mets ma main et mon cœur au feu. Il faut donc, mon cher bien-aimé, que j’aie du courage pendant quelques jours. Mais aussitôt sortie de ce margouillis hideux, je serai comme un vampire, je n’écouterai plus rien du tout.
À propos, j’ai reçu sous enveloppe ma véritable lettre de Mme Krafft. Il y avait eu erreur d’adresse ainsi que je l’avais pensé, voilà tout.
Lanvin sera demain de bonne heure chez moi et se chargera de la place de M. Pradier. Ce sera bien plus sûr.
Hélas ! pourquoi la représentation ne l’est-elle pas autant ! Je voudrais être à demain soir à cette heure-ci pour savoir ce qui m’intéresse : tant si ton procès est gagné, si Ligier [2] a pu jouer et si les [maximoirs [3]  ?] sont [enfoncées  ?] jusque dans le septième dessous. Je donnerais bien des choses pour que tout ce que je viens de te dire là aient réussi demain comme je le désire.
En attendant, mon pauvre adoré, je me ronge les foies d’impatience et je te désire de toute mon âme. Tâche de venir bien vite mon Toto chéri, je te baiserai bien pour la peine. Je t’aime toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 209-210
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

Notes

[1M. le premier : sans doute s’agit-il du premier président du tribunal de première instance dans le procès qui oppose Mlle Maxime à Victor Hugo.

[2Ligier joue le rôle de Barberousse dans Les Burgraves.

[3La lecture est douteuse, mais il s’agit en tout état de cause d’un jeu de mots sur le nom de Mlle Maxime et de ses partisans.

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