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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juin 1854

Jersey, 14 juin 1854, mercredi matin, 7 h.

Bonjour, toi que j’aime, bonjour, mon doux et ineffable bien-aimé, bonjour. Je commence ma journée par toi, mon cher petit homme, et je te la dédie tout entière, cœur, corps et âme.
J’assiste aux préparatifs définitifs du lancement de mon navire. Cette fois je crois que ce sera sans remise. Je regrette que tu ne puisses pas jouir du spectacle, le seul intéressant dans ce pays pluviard et jersieux. À propos de jersieux, Barbieux est parti il y a une heure avec malle et bagages. Je me flatte qu’il est parti pour toujours, peut-être n’est-ce qu’une absence ? Dans tous les cas j’en profite car rien n’est plus gênant que ce genre de voisinage. Je te raconte toutes les nouvelles du quartier comme une vieille portière. Pour une femme d’esprit vraiment vous m’étonnez [1]. Enfin voilà à quoi j’en suis réduite, ça n’est pas de ma faute si les plaisirs, les événements et les incidents de ce pays ne sont pas plus intéressants. Et puis je suis abrutie par le mal de tête depuis hier, je suis dans un état hideux. Tu ne t’en esa que trop aperçu hier, mon pauvre bien-aimé, mais moi je me suis bien aperçue aussi de ta bonté adorable. Va, rien de tout ce que tu fais de beau, de bon, de charmant ou de sublime n’échappe à mon admiration et à mon adoration. Tu es pour moi la personnification de tout ce qu’il y a de plus beau, de plus grand et de plus parfait dans ce monde. Je t’aime avec l’amour de la femme pour l’homme et l’adoration d’une sainte pour Dieu. Mon amour comprend tous les amours, je t’aime par tous les sens à la fois ou plutôt je suis tout amour.
Décidément on va lancer le bateau dans quelques instants. Du reste, à part la pluie, le vent a tout à fait cessé et la mer est bonne. Je lui souhaite de ta part et de la mienne toutes sortes de chances heureuses à ce pauvre bateau. Puisse-t-il ne jamais rencontrer d’écueil et échapper à toutes les tempêtes de l’océan. Cher adoré, je le charge de toutes mes bonnes pensées pour toi avec la tendre superstition que cela lui portera bonheur et à toi aussi. Je t’aime, je t’adore, je te bénis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 225-226
Transcription de Chantal Brière

a) « n’es ».

Notes

[1Parodie d’un vers de Ruy Blas, acte V, scène 3 : « Pour un homme d’esprit, vraiment, vous m’étonnez ! », dit Ruy Blas à don Salluste.

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