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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 février [1844], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon cher, cher petit homme, bonjour mon pauvre ange. Bonjour, comment vas-tu ? Je ne t’ai pas quitté de la nuit, en rêve, je donnerais tout au monde pour te voir une minute ce matin et savoir comment tu vas. Je n’ose pas te parler de ce pauvre M. Parent puisque selon les médecins, il ne devait pas voir le jour ce matin. Je regrette ce brave homme, que je ne connais pas, à cause de l’amitié et du dévouement qu’il avait pour toi. Il est toujours triste de perdre un ami même quand, comme toi, on n’a besoin que de vouloir pour inspirer les plus nobles sentiments. Je partage tes regrets, mon cher amour, et je plains cette malheureuse femme qui aura d’autant plus de chagrin de la perte de son mari, qu’elle avait déjà eu de générosité à lui pardonner ses torts envers elle de son vivant [1].
J’ai le malheur de n’être pas intelligible dans ce que je veux dire, mon Toto, je m’en aperçois, c’est ce qui fait que je me retiens presque toujours de parler de ce que je sens de meilleur en moi. Aujourd’hui j’aurais dû avoir la même prudence car je ne t’ai dit que des choses absurdes quoique j’aie le cœur débordant de tendresse, de pitié et d’amour. Il est triste de penser que tout cela devient des vulgarités et des platitudes niaises en passant par le bec de ma plume. Je sais bien que ce n’est pas ma faute mais je n’en suis pas moins humiliée.
J’ai besoin de reprendre un peu de courage et de confiance dans un baiser de toi, apporte-le moi bien vite. Si tu ne peux pas venir, pense à moi, plains-moi et aime-moi. Je baise tout ce qui est toi depuis la pointe de tes cheveux jusqu’au bout de tes chers petits pieds.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 141-142
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


6 février [1844], mardi soir, 6 h. ½

Tu sais si je te désire, mon amour, et si j’ai besoin de te voir ? Je dois donc supposer, puisque tu ne viens pas, que c’est que tu ne le peux pas.
Je devine, mon pauvre bien-aimé, que tu auras eu encore quelque devoir pénible à remplir aujourd’hui envers ce pauvre docteur et sa veuve [2]. Je te plains, mon Toto bien aimé, d’avoir si souvent à regretter tes amis. Espérons que ce pauvre docteur sera le dernier d’ici à bien longtemps.
Je voudrais, mon cher adoré, que tu n’allassesa pas au cimetière demain. Tu ne peux pas savoir combien je serai tourmentée et malheureuse si tu y vas. Tâche, mon bien-aimé, de ne pas me donner cette inquiétude, ne joue pas avec tes forces et avec ton courage, mon cher adoré, je t’en supplieb. Ne recherche pas, sans une nécessité absolue, les émotions douloureuses. La vie s’use à cette petite lutte sans cesse renouveléec des émotions violentes et du calme extérieur. Ne t’occupe pas de la façon plus ou moins absurde dont je m’explique, mon adoré. Tiens-moi compte de mes craintes, n’oublie pas que je m’associe à tout ce que tu éprouves et que c’est encore plus pour moi que pour toi que je te demande grâce. Si tu savais, mon Victor, combien j’ai le cœur plein de tristes pressentiments, tu aurais pitié de moi.
Quand te verrai-je, mon Dieu ? S’il faut attendre jusqu’après minuit, je ne sais pas comment je ferai pour passer cette soirée tranquillement et avec résignation. Tâche de venir, mon adoré, ne charge pas trop mon pauvre cœur de ton éternelle absence. Je le sens prêt à se rompre, je t’assure que c’est bien vrai. Tu le verras trop tard.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 143-144
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « n’allasse ».
b) « suplie ».
c) « renouvellée ».

Notes

[1Dans sa lettre du 14 janvier 1842, 5h. du soir, Juliette écrit que Mme Guérard lui a parlé du couple Parent « et surtout du mari qui est un immonde salop », sans autre précision.

[2M. Parent, ami de Victor Hugo, vient de décéder.

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