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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 avril 1843, vendredi matin, 11 h. ½

Bonjour mon petit Toto bien-aimé, bonjour mon cher amour adoré, comment vas-tu ce matin ? Es-tu moins fatigué et moins préoccupé que cette nuit ? Tu étais comme toujours bien doux et bien charmant mais pour moi qui te connais mieux que personne, il y avait dans l’expression de ta ravissante petite figure un fond de contrariété et de souci qui ne m’a pas échappé. Tu n’as pas jugé nécessaire de me dire ce qui te contrariait. Je respecte ton secret mais je peux me dire, à part moi, qu’autrefois tu ne me cachais rien parce que tu m’aimais mieux qu’à présent et je serai dans le vrai. Malheureusement je ne veux pas ajouter à tous tes ennuis celui de m’entendre rabâcher sans cesse sur un malheur contre lequel tu ne peux rien ni moi non plus. Mon sort est de t’aimer quand même, le tien est… d’être aimé par moi jusqu’à mon dernier soupir voilà tout. Il faut nous résigner tous les deux à notre destinée.
Tu n’as pas Académie aujourd’hui, mon Toto, mais le temps est beau et tu dois errer au soleil. Est-ce qu’il ne te serait pas possible de me faire marcher un peu ? J’en aurais vraiment besoin je suis un peu souffrante et ma tête surtout me fait grand mal. Depuis que tu m’as supprimé les Burgraves tu m’as supprimé aussi la petite course hygiénique qui en faisait partie. Tu m’as ôté d’un seul coup le plaisir et la santé. C’est trop de deux, monsieur, et je désire que vous me rendiez les deux choses à la fois. D’ailleurs je crois que j’aurai Claire demain soir en l’honneur de la Saint Philippe et comme je ne peux pas lui faire une plus grande joie que celle-là, tu seras mille fois bon de nous donner la loge K [1]. Suzanne elle-même trouve parfaitement injuste la suppression de ses entrées. Elle prétend qu’elle n’a pas encore assez vu la pièce et qu’il y a bien des points sur lesquels elle veut s’éclaircir. Tu ne peux rien refuser à des raisons comme celles-là, sans parler de mes réclamations personnelles. En attendant ta décision, je t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 73-74
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrett


28 avril 1843, vendredi après-midi, 2 h.

Je voudrais bien vous baiser, mon amour et savoir comment vous allez : mais j’ai beau vous désirer et vous aimer vous n’en venez pas plus vite. Il fait du reste un temps exquis. Trop exquis s’il doit durer comme cela demain. Néanmoins je donnerais bien deux jours pour faire une petite excursion avec toi tout à l’heure et je donnerais deux ans de ma vie pour une petite culotte ce soir sous les marronniers [2]. Malheureusement vous ne faites pas de ces marchés-là depuis longtemps. Mon ambition se borne donc à vous désirer un tout petit moment trop heureuse encore si [vous] me satisfaisiez d’ici à tantôt.
J’ai reçu une lettre de ma pauvre péronnelle qui a le cœur bien gros du départ de Mlle Hureau. La pauvre enfant, outre l’affection sincère qu’elle a pour cette excellente et parfaite demoiselle, dans toute l’étendue de la perte qu’elle fait en elle comme soin, comme sollicitude et comme indulgente bonté. Pour mon compte, j’en éprouve un véritable chagrin et je voudrais pour tout au monde que cela ne fût pas. Enfin la volonté de Dieu soit faite en ceci comme en tout.
Bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon cher adoré. Je t’aime mon cher petit, je voudrais te le prouver d’une manière éclatante. Ce jour-là serait le plus heureux de ma vie. En attendant, mon Toto, je t’aime et je te bénis à tous les instants de ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 75-76
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Hugo invite parfois Juliette à partager sa loge K de la Comédie-Française, ou lui donne des places pour qu’elle y invite ses amies ou sa fille.

[2Les Marronniers était un restaurant réputé de Bercy.

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