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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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31 octobre [1843], mardi matin, 10 h. ½

Bonjour, mon petit bien-aimé, comment vas-tu ? Comment va ton petit dos ? Tu ne dois plus souffrir si le magnétisme existe car hier, en te faisant mon remède, je voulais que la douleur qui est dans ton épaule gauche passe dans la mienne et puisse te laisser en repos. Je suis obéiea, au moins pour ce qui me concerne. J’ai une douleur à l’épaule gauche, au même endroit que toi, qui me répond au cœur chaque fois que je respire un peu fort et qui m’empêche de lever le bras. Maintenant, si tu ne souffres plus, si la transaction a été faite en toute loyauté et sans la moindre faute, je suis la plus heureuse des femmes et je proclame le magnétisme la plus vraie et la plus consciencieuse des sciences. Mais, si tu as conservé le plus petit sentiment de douleur je suis volée et je crierai par-dessus les toits que le magnétisme n’est qu’une affreuse blague et ses partisans des JOBARDS.
En attendant, je vous attends, mon cher petit bien-aimé, et vous ne vous pressez pas de venir. Il y aura bientôt un mois que vous n’avez pas déjeunéb avec moi. Mais je ne veux pas vous en faire reproche, ma dignité de femme s’y oppose. Ce qui ne s’opposerait pas à ma dignité ce serait de vous flanquer une pile à mort pour vous apprendre à m’aimer mieux que ça. Taisez-vous, vilain Toto, vous devriez rougir depuis votre [illis.] jusqu’à vos talons de bottes les plus éculées. Vous mériteriez que je ne vous aime plus à mon tour et vous verriez quel plaisir ça fait.
Comment fonctionne Lanvin ? J’ai bien peur qu’il ne fasse pas tes affaires aussi bien que tu y attends. Pauvre bonhomme, ce ne sera pas la bonne volonté qui lui manquera mais il n’y voit presque pas et il est très lent. Au reste, ce n’est pas l’indulgence qui te manque et la patience non plus. Enfin, tu en essaieras voilà tout.
Pense à moi mon Toto et viens le plus tôt que tu pourras. Je baise ta chère petite bouche.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 263-264
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « obéïe ».
b) « déjeuner ».


31 octobre [1843], mardi soir, 8 h. ¾

N’oublie pas, mon cher bien-aimé, que tu as ton sinapismea à mettre ce soir. Je crains que tu n’aies dîné un peu tard pour le poser aujourd’hui et puisque tu me confies les rênesb de ton gouvernement, j’en serai pour ajourner le remède ou pour ne le faire que fort avant dans la nuit. Je ne suis pas étonnée de l’émotion de M. Louis, loin de là, il me paraît impossible lorsqu’on t’a vu seulement une seule fois, qu’on ne t’aime pas profondément. Pour moi, mon cher adoré, je ne fais pas autre chose depuis bientôt onze ans. Je t’aime tous les jours davantage et je t’aimais de toute mon âme la première fois que je t’ai vu. Aussi, je comprends très bien l’affection dévouée et religieuse de tout ce qui t’entoure.
Comment va ta pauvre tête, mon cher bien-aimé ? Voilà un affreux temps qui va encore l’augmenter. Cette humidité et cette chaleur sont on ne peut plus malsaines. Il faudrait ne pas travailler dans ces moments-là et c’est justement ce que tu fais. Pauvre adoré, ménage-toi seulement pendant ces affreux jours de brouillard et d’équinoxe. Pense à moi et à tout ce qui t’aime et prends soin de toi.
Je vais faire mes comptes tout à l’heure quoique la soirée soit fort avancée. Mais je sais si bien que l’ajournement d’un jour serait peut-être un ajournement définitif et je veux les faire ce soir coûte que coûte. Suzanne a passé les cadres à l’encaustiquec. Elle prétend qu’ils n’en sont pas plus beaux pour ça. Elle y a trouvé, dit-elle, d’énormes vers grouillants. Elle ajoute que M. n’est pas gentil d’apporter des saletés comme ça et qu’elle ne l’aimera plus. Je vous rapporte ses propres paroles afin que vous voyiezd où en est votre popularité vis-à-vis d’elle.
Sur ce baisez-moi et rappelez-vous qu’il y a près d’un moi que nous ne déjeunons plus ensemble. Je ne vous dis que ça.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 265-266
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « cinapisme ».
b) « rennes ».
c) « encostique ».
d) « voyez ».

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