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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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19 octobre [1836], mercredi matin, 11 h.

Bonjour vous, si vous croyez que c’est ce qui rend une femme heureuse, vous vous trompez. Parlons peu et parlons bien. Allez-vous venir déjeuner ou bien faut-il encore que ce dernier plaisir me passe devant le nez comme hier le dîner ?
Je vous préviens qu’en dedans je suis furieuse et que si vous ne me payez pas bientôt tous mes arriérés avec l’intérêt des intérêts au taux dont nous parlions hier, je vous casserai sur le dos mes vingt voies de bois sans compter le fouet du charretier.
En attendant ces affreux moments, je vous aime de toute mon âme, de toutes mes forces et de tout mon cœur.
Je suis toujours malingre, je ne sais vraiment pas ce que j’ai. Il serait absurde cependant de faire venir le médecin pour si peu de chose, j’attends encore. On ne meurt pas pour mal avoir. Et puis je vous aime et vous êtes mon grand Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 50-51
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette


19 octobre [1836], mercredi soir, 8 h. ¾

Mais mon cher bien-aimé, qu’est-ce que vous voulez que je fasse de ce fouillis de sentiments qui obstrue ma table ? À quoi voulez-vous que j’emploie cet obélisque de papier tout chargé d’hiéroglyphesa d’amour mais que vous ne savez pas déchiffrer ?
Si vous étiez moins penaud, si vous vouliez être de bonne foi avec moi, vous me laisseriez tout simplement allumer mon feu avec. Ce qui ferait que : ce qui vient de la flûte retourne au tambour [1]. Ou mieux encore : ce qui vient de la bouche retourne au coteretb [2]. Mais je m’aperçoisc que j’ai beaucoup trop d’esprit et qu’il n’en faut pas tant pour dire : mon cher Toto, vous ne lisez pas mes gribouillis, je vous approuve. Mais cela encombre ma table et gêne mes mouvements, ce que je désapprouve. Vous aurez donc la bonté de faire nettoyer la VOIE PUBLIQUE de ma chambre, sinon j’incendie tout. Vous m’avez encore promis de venir utilement ce soir, j’ai la faiblesse d’espérer. Nous verrons comment vous répondrez à cet acte de confiance. En attendant je vous baise du haut en bas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 52-53
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « hyéroglyphes ».
b) « cotteret ».
c) « apperçois ».

Notes

[1Ce proverbe signifie : le bien acquis trop rapidement ou par des voies peu honnêtes, se dissipe aussi aisément qu’il a été amassé. 

[2Le coteret est un fagot de bois ou un morceau de bois issu du fagot.

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