Guernesey, 15 déc[embre] [18]72, dimanche matin, 8 h. ¼
Mon Bonjour a l’oreille basse aujourd’hui, mon grand bien-aimé, mais il a pour excuse une des pires nuits que j’ai euesa depuis longtemps ; heureusement, j’espère que la tienne ne laisse rien à désirer puisque tu t’es levé de bonne heure ce matin ; c’est avec cette pensée que je me réconforte en ce moment car j’en ai bien besoin, je suis bien patraque. À voir la tranquillité et la placidité de Mme Chenay, il me semble impossible qu’elle ait conscience de t’avoir offensé, et, en y réfléchissant, je crois même qu’elle a cru bien faire en vue de t’épargner les cruelles inquiétudes que t’auraient faitesb de mauvaises nouvelles de ton fils t’arrivant brusquement et sans ménagement [1]. À sa place, j’en aurais plus que probablement fait autant et toi aussi pour moi, j’en suis sûre, dans la même triste circonstance. Donc, mon sublime justicier, loin de lui en vouloir d’avoir pris la précaution qui, tout d’abord, m’a froissée autant que toi, il faut lui en savoir gré et lui accorder le bénéfice de la sollicitude pour toi. Pour ma part, jusqu’à preuve du contraire, je l’en remercie. Cher bien-aimé, puisque tu veux bien prendre fait et cause pour le pauvre fils Lanvin [2], Blanche et moi nous te supplions de le faire aujourd’hui même car un plus long retard [pourrait ?] rendre la chose irréparable. En même temps, mon cher bien-aimé, Blanche te prie de faire donner cinquante francs à son père et à sa mère qu’elle me rendra sur ses gages. En même temps, encore, je te prie de penser aux étrennes du portier de ma maison : cinq francs aux étrennes de tes petits-enfants, et même à celles de leurs bonnes, la Suzanne comprise ; c’est mon avis que je te donne dans l’intérêt de Petit Georges et de Petite Jeanne et voilà ma fonction de mouche du coche arrêtéec pour aujourd’hui. Celle de mon cœur continue plus fort que jamais : je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 345
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « eu ».
b) « fait ».
c) « arrêté ».