Guernesey, 21 décembre, [18]65, jeudi matin, 7 h. ¾
Bonjour, mon doux adoré, bonjour. J’ai déjà interrogé ton balcon dont le silence ne me dit rien de bon [1]. Je crains que cette nuit n’ait pas été meilleure que l’autre et j’en suis malheureuse. Je voudrais que cette journée fût passée, car je sens tout ce qu’elle a de pénible pour toi en l’absence de ta famille [2]. La joie de tous ces pauvres petits êtres réconfortés, amusés, choyés et bénis par toi ne sera pas encore assez grande pour faire contrepoids à TA TRISTESSE aujourd’hui [3]. Je le sens et j’en souffre avec toi ; je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je n’irai pas dans ta maison aujourd’hui malgré l’invitation charmante de ta petite belle-sœur [4] et la promesse que je lui ai faite. Ce n’est pas le moment de déroger à mes traditions d’ourserie [5]. Quant aux de Putron, je ferai ce que tu voudras, quand tu voudras et comme tu voudras, trop heureuse si cela fait diversion à tes préoccupations et surtout à l’ennui que te cause l’absence de ta famille [6]. Je ferai tout, tout, tout pour que tu ne sois pas triste. J’ai hâte que cette journée soit finie et je joins ma reconnaissance à celle de tous les petits heureux que tu fais aujourd’hui et je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 213
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette