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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 avril [1842], mercredi matin, 10 h. ½

Partout où tu es, mon Toto chéri, je baise tes pieds à genoux devant tout le monde. Je t’aime, mon grand Victor, je te vénère, je te bénis, je t’adore. Tout ce qu’il y a de plus tendre et de plus dévot dans le cœur humain, je l’éprouve pour toi. Je ne sais pas comment te dire cela, mais enfin tu me comprendras quand je te dirai que je t’aime avec toute la passion et toute l’admiration d’une femme amoureuse du plus beau des hommes et avec toute l’adoration d’une dévote pour le bon Dieu. Je suis bien malheureuse de ne pouvoir pas dire ce que je sens faute d’esprit, mais je t’aime pourtant d’un amour ineffable et je donnerais mille fois ma vie pour toi. Mon cher bien aimé, comment vas-tu ce matin ? Tu étais déjà bien fatigué cette nuit quand je t’ai vu et tu voulais encore remarcher et travailler. Pourvu que ce surcroît de fatigue ne t’aita pas fait de mal… Si tu as un moment de liberté et de loisir dans la journée, mon Toto bien aimé, viens me voir pour me tranquilliser sur toi et sur ton petit garçon [1] et pour que je t’embrasse de toute mon âme. Je t’aime mon Toto.
Vous voyez, mon amour, qu’on peut me faire crédit à moi et que je ne fais pas attendre mes remboursements. Ce n’est pas comme un certain joli garçon de ma connaissance qui ne rend jamais le bonheur qu’il doit à une certaine Juju de ma connaissance aussi, pas même les intérêts des intérêts. Cet homme est un monstre, n’est-ce pas ? J’étais sûre que vous seriez de mon avis, vous qui êtes l’EXACTITUDE MÊME ; IA IA MONSIRE MATAME, IL EST SON SARME. L’EXACTITUDE. Baise-moi, scélérat, et embrassons si tu veux la profession de Bédouin, fession de Bédouin, fession de Bédouin [2], nous serons bien aussi heureux que de ne rien EMBRASSER du tout. En attendant, je te désire, je t’attends et je t’aime plus que jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 297-298
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « t’ai ».


20 avril [1842], mercredi soir, 5 h. ¾

Oui je veux que tout le monde sache que vous venez planter vos pistachiers chez moi. Je le veux, je m’en fais honneur et gloire ne pouvant pas m’en faire autre chose de plus sucréa. Pourquoi donc avez-vous mis votre bel habit tantôt ? J’aurais dû ne pas vous le donner ou j’aurais dû vous forcer à sortir avec moi. Je suis une bête, je n’ai de bonnes idées que lorsqu’elles ne peuvent plus me servir. Je vais bien me tenir sur mes gardes afin de n’en pas laisser échapper une seule, si par hasard il m’en vient quand vous serez là. Dieu, quel beau temps et que c’est triste de n’en pas profiter avec vous. Décidément, j’embrasserai la profession de Bédouin [3] et vous verrez comme vous serez bête après. Taisez-vous, monstre d’homme. Baisez-moi, ça vaudra bien MIEURE que de faire le faux petit pleutre tous les jours. Taisez-vous qu’on vous dit, vous dîtes toujours la même chose vous n’aurez qu’un YARD. Je vous pardonne si vous venez ce soir de bonne heure me prendre pour marcher un peu ou même tout chessement si vous venez de bonne heure écrire votre courrier et lire vos journaux. Je ne suis pas très exigeante comme vous voyez et le besoin de vous voir me faire lâcheté sur lâcheté, mais j’ai trop de cœur pour faire autrement. Je vous pardonne tous vos crimes jusqu’à ce jour si vous venez de bonne heure ce soir, sans compter que je vous attends tout à l’heure.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 299-300
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « sucrée ».

Notes

[1François-Victor Hugo. D’une santé très fragile quand il était enfant, il tombera très souvent malade. Depuis le début du mois de février il souffre d’une grave maladie pulmonaire qui connait beaucoup d’améliorations et de rechutes dont la convalescence n’interviendra qu’à l’automne.

[2Chansonnette tirée d’une comédie en un acte, mêlée de couplets, d’Antoine-François Verner de 1841 : La Sœur de Jocrisse. Jocrisse et sa sœur Charlotte sont les domestiques de M. Duval qui s’apprête à se marier avec Herminie, la fille de M. Duchanel. Jocrisse, personnage type de la niaiserie et de l’étourderie, va faire échouer le mariage de son maître par une suite de maladresses. Alors que le contrat de mariage vient d’être annulé, M. Duval, fou de colère, renvoie son valet de chambre qui fait ses adieux à sa sœur en chanson et lui dit qu’il part s’exiler en Afrique : « Ce que j’vas fair’, quand j’m’exile si loin ? / J’vais embrasser ma sœur chérie / Et la profession de Bédouin ! / Fession de Bédouin / Fession de Bédouin. »

[3Chansonnette tirée d’une comédie en un acte, mêlée de couplets, d’Antoine-François Verner de 1841 : La Sœur de Jocrisse. Jocrisse et sa sœur Charlotte sont les domestiques de M. Duval qui s’apprête à se marier avec Herminie, la fille de M. Duchanel. Jocrisse, personnage type de la niaiserie et de l’étourderie, va faire échouer le mariage de son maître par une suite de maladresses. Alors que le contrat de mariage vient d’être annulé, M. Duval, fou de colère, renvoie son valet de chambre qui fait ses adieux à sa sœur en chanson et lui dit qu’il part s’exiler en Afrique : « Ce que j’vas fair’, quand j’m’exile si loin ? / J’vais embrasser ma sœur chérie / Et la profession de Bédouin ! / Fession de Bédouin / Fession de Bédouin. »

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