2 avril [1842], samedi matin, 10 h.
Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon cher petit homme. Comment vas-tu ce matin ? Comment as-tu passé la nuit ? Que dita M. Louis, mon amour, faudra-t-il poserb les sangsues [1] ? Peut-être a-t-il fallu les appliquer hier au soir, car tu paraissais bien souffrant, mon pauvre bien aimé ? Si je ne te vois pas d’ici à tantôt, je croiraisc le moins de mal possible, c’est-à-dire qu’on t’a posé les sangsues, que tu vas bien et que je te verrai demain et j’espèrerai une bonne petite lettre. Si elle et toi vous me manquiez, je supposerais tout ce qu’il y a de pire au monde pour moi, c’est-à-dire que tu es malade sérieusement ou que tu ne m’aimes pas. Mais ça serait si affreux que je ne veux pas anticiper par des suppositions sur un malheur qui ne nous frappera jamais ni l’un ni l’autre, si le bon Dieu est juste. Que je voudrais être auprès de toi, mon pauvre petit homme, pour te soigner, te dorloter et t’adorer ! Qui est-ce qui réchauffe ton bain chez toi ? Qui te posera ou t’a déjà posé les sangsues ? Je suis jalouse de tous ces soins au-delà de ce que j’ose te dire pour ne pas t’attrister ou te mécontenter, mais depuis que tu es souffrant je me suis bien des fois fait les questions que tu viens de lire et jamais les réponses que j’y faisais ne m’ont satisfaites. Tu vois, mon cher adoré, que je suis toujours la vieille et incorrigible Juju aimant son Toto plus que sa vie et jalouse de tout. Aussi, il faut te dépêcher de te guérir, mon cher petit homme, pour m’ôter tous les vilains tourments de la jalousie et me donner avec ta santé la joie et le bonheur de t’aimer de près et dans tous les sens avec et sans calembours. En attendant et quoi que je fasse, je suis bien triste et bien tourmentée.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 227-228
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « dis ».
b) « posé ».
c) « croirai ».
[2 avril, 1842], samedi, 4 h. ½
Voici Suzanne revenue de chez Guyot, mon adoré, elle a reçu les 150 F sans observation. Je vais faire mettre tout ceci à la poste. Mon pauvre malade bien aimé, ne t’occupe pas si quelque chose dans ma lettre te semble triste et tourmenté, je suis calme, j’ai du courage, j’aurai de la patience [2]. Guéris-toi bien vite, mon adoré, et ne me laisse pas sans nouvelles de toi d’ici à demain, car alors je ne sais pas ce que je deviendrais. Ma santé est bonne, trop bonne, puisque tu souffres, mon pauvre Toto adoré. Claire est bien fâchée de te savoir malade. Elle espère que cela ne sera rien, moi je fais plus que l’espérer, car si tu étais désespérément malade je perdrais le peu de raison qui me reste. Mon Toto bien aimé, je baise tes yeux, tes lèvres, tes pieds, je voudrais te guérir à force de baisers. Soigne-toi et guéris-toi bien vite, car malgré mon courage, je suis bien triste et bien malheureuse.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 229-230
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
2 avril [1842], samedi soir, 10 h. ½
Tu n’es pas revenu, mon pauvre adoré, mais tu n’es pas plus malade que tantôt, n’est-ce pas [3] ? C’est par prudence seulement et pour obéir à M. Louis que tu es resté chez toi à te soigner et à te reposer ? Si cela est et que tu ne sois pas plus souffrant que tantôt, tant mieux, mon adoré, et je t’approuve quoi qu’ila m’en ait coûté une soirée de bonheur. Je ne parle pas de ma pauvre péronnelle [4] et de ma hideuse serventre [5] qui toutes deux s’étaient mises sous les armes dans l’espoir d’aller battre des mains à Hernani [6] et qui toutes deux ont eu aussi leur nez de carton. Je ne sais pourtant pas rester seule, ainsi que tu peux le deviner par l’heure à laquelle je t’écris. J’ai eu la visite de Mme Franque et de sa fille qui sont restées jusqu’à dix heures, mais, mon pauvre ange, rien ne peut te remplacer chez moi, tout ce qui n’est pas toi et pour toi m’est indifférent et presque insupportable. Aussi ai-je été fort maussade avec ces deux femelles. Je les regardais sans les voir, je leur répondais sans les entendre, mes yeux, ma bouche, ma pensée et mon cœur étaient occupés de toi et avec toi. Enfin les voilà parties. Tant mieux, je ne serai plus interrompue dans ma contemplation, je pourrai te regarder, t’écouter, te parler, t’admirer et t’adorer à mon aise. Si tu pouvais venir cette nuit, quel Bonheur !!!! Mais surtout pas d’imprudence. Soigne-toi bien. Repose-toi bien, dors bien et aime-moi de toute ton âme, mon Toto, ce ne sera que justice.
J
BnF, Mss, NAF 16348, f. 231-232
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « quoiqu’il ».