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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 mars 1842

25 mars [1842], vendredi soir, 7 h.

Tu n’es pas parti fâché, n’est-ce pas mon cher petit bien aimé ? J’ai toujours peur, depuis que je sais à quel point mes grogneries te choquent, que tu ne sois fâché pour un oui ou pour un non, pour un perroquet ou pour une perruque. Je n’ai plus la moindre confiance dans l’épaisseur du bandeau que l’amour met sur les yeux depuis que je sais que tu y vois très clair à travers le tiena. Aussi, depuis ce temps, tout m’est un sujet d’inquiétude et de tourment. Dès que je ne te vois plus, je crains de t’avoir déplu involontairement et devant toi je suis mal à mon aise et gênée par la crainte de te déplaire. C’est à toi, mon adoré, si tu m’aimes, à me rendre la confiance que tu m’as ôtéeb dans un moment de franchise, car pour moi il m’est impossible de t’aimer plus que je ne fais et il serait humainement impossible d’aimer plus que moi. Mes défauts sont de ma mauvaise nature contre laquelle je ne puis rien ou si peu de chose que ce n’est pas la peine d’en parler. Mon amour est de ma pensée, de mon cœur, de mon âme contre lequel tu peux tout, c’est-à-dire le rendre malheureux ou heureux selon que tu le voudras. Cependant je te promets d’essayer d’être bien bonne et bien douce, hélas ! Autrefois il me suffisait pour être accomplie d’être ta bien aimée. Maintenant pour revenir à ce point de perfection, il ne m’en faut pas davantage, mais cela dépend-il de moi, j’en doute. Enfin j’essayeraic.
Depuis que tu es parti j’ai fait toutes les petites affaires intérieures pendant que la servarde [1] était à l’église. J’ai fait chauffer aussi MONSIEUR JACQUOT, mais je n’ai pas encore pu m’approcher du feu, ce que je sens très bien au froid de mes pauvres pieds. Je vais tout à l’heure rattraper le temps perdu. Puissiez-vous en user de même à mon égard, car depuis longtemps nous perdons énormément de choses que vous ne rattrapez pas. Enfin il est toujours tempsd de s’en aviser et j’espère que vous y songerez avant le 25 d’AVRIL prochain [2]. En attendant, je vous aime de toute mon âme et je fais tous mes efforts pour que vous m’aimiez un peu malgré tous mes affreux défauts.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 197-198
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « tiens ».
b) « ôté ».
c) « essayrai ».
d) « tant ». 

Notes

[1Suzanne.

[2Date de ses prochaines règles qu’elle a eu la veille. La mention de ses cycles est une manière de reprocher à Hugo son manque d’investissement dans leur relations intimes dernièrement et de réclamer un changement avant la prochaine période d’indisposition.

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