Guernesey, 6 février [18]70, dimanche, 8 h. du m[atin]
Bonjour, mon cher adoré, comment as-tu dormi cette nuit ? Mieux que l’autre je l’espère. Moi aussi j’ai passé une assez bonne nuit entrecoupée de ceci et de cela, de crampes et de goutte, ce qui ne m’empêche pas d’être gaillarde, [vêtue ?] et prête à tout et à autre chose. Demain tu sauras s’il y a quelque chose de trop redoutable dans le succès de Lucrèce Borgia. Le Rappel te renseignera à coup sûr sur toutes les péripéties de la seconde et de la troisième représentation. Quant à moi j’ai beau voir le danger comme tu le vois, je ne suis pas sérieusement inquiète tant j’ai confiance dans cette robuste et prodigieuse pièce et aussi dans le tact du gros public qui veut ce qu’il veut et qui sait le prendre quand on le lui donne pas de bon gré. J’attends demain avec toutes les tendres impatiences mêlées d’une certaine crainte pour savoir au juste jusqu’où on a osé menacer ce chef-d’œuvre. Je prends confiance et courage en t’adorant.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 37
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette