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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 juillet [1839], mardi matin, 10 h. ¼ a

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon Toto adoré, bonjour mon petit homme chéri. Je suis encore furieuse ce matin : j’ai à mon service la plus absurde fille qui se puisse voir. Enfin croirais-tu que depuis ce matin elle n’a pas fait ta tisaneb, et que pour n’avoir pas l’air de n’avoir pas fait œuvre de ses dix doigts, elle me mêle le marcc avec le café ? Voici le secret des tisanesd mal faites et du mauvais café. Mais vraiment je t’assure que cette fille est d’un bien mauvais service et qu’elle me fait faire horriblement de mauvais sang.
eJ’ai reçu une lettre de cette pauvre Claire qui se plaint, avec raison, que je ne vais pas la voir. Il paraît qu’elle comptait sortir pour ta fête et qu’elle t’avait appris des vers à cette occasion. Enfin la pauvre enfant en a été pour ses frais de mémoire et de gentillesse, mais je ne me doutais pas qu’elle croyait sortir à cette occasion. Je suis si en colère que je tremble comme une feuille. Je suis indignée quand je vois si peu de conscience et si peu de cœur chez une créature pour qui on est trop bon et trop patient. Certes en voilà une qui me fait regretter cruellement le service plus que médiocre de ma dernière servarde. Je m’aperçoisf que je dis toujours la même chose et que ma colère n’est pas aussi admirable ni aussi amusante que celle que tu m’as lue cette nuit. Je me tais, et je reprendsg le sujet de ma lettre qui est de te dire que je t’aime, que je t’adore et que tu es mon Toto bien-aimé. Baise-moi. Toto est bien i. J’ai resserré L’AUTRE [1] parce que la poussière lui ferait mal aux yeux aussi à lui, mais je vais aller le voir dans son armoire et lui dire qu’il ne s’ennuie pas. À vous je vous dis de venir bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 145-146
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) Une croix est inscrite entre la date et le corps de la lettre.
b) « tisanne ».
c) « mar ».
d) « tisannes ».
e) Une croix est inscrite sur le bord gauche de la page.
f) « m’apperçois ».
g) « reprend ».


23 juillet [1839], mardi soir, 6 h.

Je profite, mon Toto bien-aimé, de ce que je suis à la maison et de ce que je souffre pour prendre un bain. Je viens d’en envoyer chercher un. Aussitôt qu’il sera arrivé, je me plongerai dedans. Je me suis horriblement fatiguée tantôt à cette besogne hideuse. Enfin je vais me baigner et peut-être me soulager. Je vous aime, Toto. Et quoiqu’il me semble impossible que tu me trompes, j’ai cependant été bien désagréablement frappée en lisant l’article du Vert-vert [2] où il est dit que tu étais à l’opéra le jour de la condamnation de Barbès ; et cependant j’étais prévenue par toi de l’erreur de l’auteur de l’article. Mais c’est égal, ça m’a donné un coup dans le cœur dont je n’ai pas été maîtresse et à l’heure qu’il est je ne suis pas encore très rassurée. Je ne le serai tout à fait que quand je t’aurai vu et entendu avec ta chère petite bouche qui ne sait pas mentir et tes beaux yeux si fiers et si doux, qui n’ont jamais trompé. Je t’aime mon Toto, je t’aime mon amour, baise-moi. Je vais écrire un petit bout de lettre à ma pauvre Claire. C’est bien le moins, la pauvre petite, puisque nous ne pouvons pas y aller. Je l’aime deux fois plus puisqu’elle a pensé à toi à l’occasion de ta fête. C’est bien gentil de sa part.
Voici mon bain. Quel bonheur. Je souffre tant que c’est avec joie que je vais me plonger dans la baignoire. Si tu viens, tu m’en retireras, ce sera très i. N’est-ce pas mon cher petit curieux ? Vous pourrez faire vos mines dans la glace tant que vous voudrez. Voime, voime, vieux coquet. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 147-148
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

Notes

[1Juliette nomme « l’autre » le portrait de Hugo par boulanger qu’elle vient de recevoir.

[2Le Vert-vert, « Journal des salons et des théâtres ». Le 12 juillet, Hugo a écrit au Roi Louis-Philippe une demande de grâce en apprenant la condamnation à mort de Barbès.

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