Paris, 21 juin 1874 [1], dimanche matin, 9 h. ½
J’espérais que rien ne viendrait troubler le recueillement de ce triste anniversaire et je comptais sur la protection des anges de la mort pour me défendre des agressions des témoins de la vie.
Hélas ! Je me suis trompée car jamais tentative plus audacieuse et plus cynique n’a été dirigée contre mon repos. On dirait que ce qui reste de mon pauvre cœur est le point de mire de toutes les flèches de ces chasseresses du vice et des honteuses aventures.
Quant à moi, je me déclare vaincue sans combattre et, avant que ma pauvre raison ne s’éteigne tout à fait, je veux mettre à l’abri, bien loin des tournois de galanterie dont tu es le héros glorieux et heureux, mon amour désespéré et broyé.
Juliette
Lieu de conservation non identifié
Lettre publiée par Guimbaud et par Souchon (que nous recopions).
Paris, 21 juin 1874, dimanche, 5 heures
Tu ne veux pas que je m’inquiète, tu ne veux pas que je déserte un combat pour lequel je n’ai plus d’armes, cela est plus généreux que sage, car ce qui s’est produit aujourd’hui s’était produit hier et se reproduira demain et je n’ai plus de force, ni physique ni morale.
Ce martyre de Sisyphe qui remonte tous les jours son amour au plus haut du ciel et qui le sent tomber chaque jour sur son cœur, de tout son poids, me fait horreur et je préfère mille fois la mort tout de suite à cet épouvantable supplice. Aie pitié de moi, laisse-moi partir, j’irai où tu voudras, le lieu m’importe peu.
Ne t’expose pas et ne m’expose pas à quelque terrible coup de tête ! Je te le demande au nom de ta fille et de la mienne. Je te le demande au nom de ton cher Petit Georges et de ta chère Petite Jeanne. Laisse-moi me remettre de tous ces assauts réitérés, je t’assure que c’est le seul remède possible et peut-être capable de me guérir que celui-là.
Tu ne t’apercevras presque pas de mon absence. Les petits enfants de ton sang et ceux de ton génie, et le reste, combleront facilement le petit vide de mon absence. Pendant ce temps-là, je me calmerai, je me résignerai, je guérirai peut-être et, dans tous les cas, ce sera le repos pour toi comme pour moi. Je t’assure, mon grand bien-aimé, mon trop aimé, que tu t’en trouveras bien, je t’en supplie, laisse-moi essayer.
L’excès de l’amour comme l’excès de la santé, c’est la souffrance et la mort. L’âme a sa pléthore comme le corps, la mienne étouffe de son trop-plein. Laisse-moi essayer de l’alléger un peu dans la solitude et dans la contemplation de notre bonheur passé.
Je t’en prie, je t’en supplie, je te le demande au nom de tous ceux que tu regrettes et que tu aimes.
Lieu de conservation non identifié
Lettre publiée par Guimbaud et par Souchon (que nous recopions).