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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 septembre [1836], dimanche après-midi, 4 h. ½

Mets ça dans ton cœur : je T’AIME. Voilà la lettre que je vous écris. Elle est peut-être moins bien rédigée que celle que vous me dictiez ce matin. Mais elle a aussi son petit mérite.
Dis donc tu sais que je suis une bête ? Tu sais que je suis une folle ? Mais tu sais aussi que je t’aime, que je n’aime que toi et que je ne te trompe pas en rien ? Car c’est bien vrai. Je ne sais pas comment ça se fait mais plus je suis méchante et absurde, plus je t’aime, plus je suis vieillea et laide et plus je te trouve jeune et beau et ravissant [1].
Vous voyez bien que vous ne perdez rien à ce commerce-là. Mais moi c’est différent. Je suis sûre que vous m’aimez de moins en moins et cela me rend bien malheureuse. Mon cher petit homme, mon pauvre amour aime-moi. Aime-moi encore plus car je le mérite bien, va. Je t’aime moi.

J.

BnF, Mss, NAF 16327, f. 338-339
Transcription de Nicole Savy

a) « vielle ».


18 septembre [1836], dimanche soir, 7 h. ½

Mon cher petit homme, je n’ai pas l’espoir que tu viendras de bonne heure puisque voici l’heure du spectacle à peu près passée. Mais fais tout ton possible pour venir souper avec moi. D’ailleurs vous me faites faire des soupers dont je n’ai pas besoin, et puisque la dinde sera rôtie il faudra la boire – non, la manger.
J’ai une espèce de terreur que vous soyez à Fourqueux que j’en tremble [2]. Cependant il faudrait bien vous aimer malgré cela et c’est ce que je fais. Oui mon cher petit bien-aimé, absent ou présent je vous aime, de près ou de loin je pense à vous. Je n’ai qu’un désir : vous, qu’un bonheur : vous.
J’ai eu beaucoup de choses à faire depuis que vous êtes parti et je les ai toutes faites. Je vous attends, parce qu’après tout j’aime encore mieux vous attendre que de croire que vous ne viendrez pas du tout.
Je vous aime, je baise vos mains, vos pieds et généralement tout ce que vous portez. Je vous attends avec votre plume d’autruche [3] et de poète.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16327, f. 340-341
Transcription de Nicole Savy

Notes

[1Plaisanterie de Juliette, qui va devenir récurrente, voire obsessionnelle après la publication de la « Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour » du Rhin, six ans plus tard. On peut parler d’un syndrome de Pécopin (tu rajeunis, je vieillis) mais elle en est peut-être l’inspiratrice autant que la victime.

[2Pour l’été, Victor a loué une maison à Fourqueux, entre Saint-Germain-en-Laye et Marly-le-Roi, pour sa famille et ses amis. Il y fait des allers et retours fréquents depuis la Place royale.

[3C’est en 1836 que Victor Hugo présente sa première candidature à l’Académie. Elle se solde par un échec à la fin du mois de décembre et il lui faudra attendre cinq ans pour être élu. Juliette, qui ne peut que connaître ce désir du poète, évoque malicieusement, outre les plumes d’oies, les plumes d’autruche noires qui ornent le bicorne des académiciens.

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