Guernesey, 26 février [18]68, mercredi, 8 h. du m[atin]
J’oserais à peine offrir mon piteux bonjour ce matin au triomphant Hernani du 26 février 1830 [1] si mon cœur n’était pas plus vaillant que mon estomac ; et pour le prouver séance tenante, je saute crânement au cou de ce héros avec toute l’audace de l’amour et de l’admiration à outrance.
Cher adoré, je sais que tu étais levé à sept heures un quart mais j’étais encore si souffrante à ce moment-làa qu’il m’était impossible de te donner signe de vie autrement qu’en pensée. Je m’étais même recouchée espérant pouvoir dormir pendant que mes femmes étaient à la messe des cendres quand on a sonné à ma porte. Pensant que ce pouvait être de ta part, je me suis levée pour répondre mais ce n’était que le jardinier vigneron qui a été forcé de s’en retourner car je n’avais pas la clef d’en bas pour lui ouvrir. Cet incident a fait envoler tout espoir de sommeil mais cela n’empêche pas que je sois beaucoup mieux en ce moment et je suis sûre que je serai tout à fait bien pour te recevoir tantôt. En attendant, je t’envoie mon âme chargée de toutes mes tendresses.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 57
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « à ce ment-là ».