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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 mars 1840

16 mars [1840], lundi après-midi, 2 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon grand Toto, bonjour ma joie, bonjour toi que j’admire et que j’aime de toute mon âme. J’ai beau faire et me dépêcher je ne peux pas venir à bout de finir mes triquemaques avant cette heure-ci : aujourd’hui c’est le linge du blanchissage, hier c’était la couturière, demain ce sera le diable mais j’aurai toujours quelque chose à faire qui me retiendra jusqu’à deux heures sans manger, je ne dis pas sans boire, car pour vous faire de la tisanea fraîche tous les jours je me noie le cœur tous les matins d’une pinte de tisanea. Je suis vraiment bien bête et je devrais vous forcer à boire vos drogues puisque vous les commander. La tisanea est faite, il faut la boire. Je vais joliment vous surveiller demain MARDI et les mardis suivants ainsi que les JEUDIS. Je n’ai pas envie de poser en SPHINX au coin de mon feu tandis que vous irez faire la roue chez le président du Conseil et chez les divers ministres. Je n’entends pas cela, je vous en préviens sous aucun prétexte. Vous n’êtes plus candidat [1], j’espère que vous ne le serez pas d’ici à longtemps et je ne veux pas que vous me soyez infidèle, si c’est possible. Dans tous les cas je vous préviens que je me fâcherai tout rouge si vous allez chez aucun de ces gens-là et chez d’autre. Il serait par trop fort que vous n’eussiez à travailler que pour moi et que tout votre loisir soit au monde et aux femmes. Je ne le veux pas, je ne le veux pas parce que je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 274-275
Transcription de Chantal Brière

a) « tisanne ».


16 mars [1840], lundi soir, 5 h. ¾

Voici la journée passée, mon adoré, et tu n’es pas venu et je suis triste sans pouvoir m’en défendre. Le blanchisseur, lui, est venu. J’ai pris tout l’argent de Suzanne et encore n’ai-je pas pu le payer entièrement à l’heure qu’il est et avec les falourdes [2] qui se brûlent. Je dois à Suzanne 18 f. moins quelques liards, après-demain le mois du frotteur et puis enfin il faudra, quelque désagréable que soit pour moi cette insistance, te demander quelle époque il faut donner à Gérard pour le mois prochain ? Je vous aime mon pauvre petit homme, je vous aime et vous ne venez pas seulement ; n’est-ce pas bien triste ? et bien décourageant ? Je vous tiens quitte des promesses solennelles que vous m’avez faitesa samedi et dimanche de me faire sortir aujourd’hui soit chez Mme Pierceau soit à la pièce de Balzac [3]. Je sais très bien que vous me laisserez roussir au coin de mon feu comme d’habitude et comme d’habitude encore je ne vous en garderai pas la moindre rancune. Baisez-moi mon Toto. Quand vous lirez ce gribouillis il sera 3 ou 4 h. du matin et tout ce que je vous mande à présent sera une vieille radoterie mais ce qui peut avoir plus d’à-propos, si vous le voulez, c’est de vous prier de venir passer le reste de la nuit auprès de moi, qu’en dites-vous ? Je vous adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 276-277
Transcription de Chantal Brière

a) « fait ».

Notes

[1Hugo a été candidat à l’Académie française mais n’a pas été élu.

[2Falourdes : fagots de bois.

[3Le théâtre de la Porte Saint-Martin donne Vautrin, une pièce de Balzac soutenue par Victor Hugo.

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