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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 20 avril 1852, mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon petit Toto, bonjour mon cher petit homme, bonjour. Je devrais vous bouder pour vos fins de non-recevoir : « QUAND TU VOUDRAS », mais je n’en ai pas la force. Mon mécontentement, loin d’aller jusqu’à toi, reste en moi-même et je m’en veux de t’aimer plus qu’il ne te convient et plus qu’il ne faut à notre position et au RESTE. Je tâche de m’en corriger. J’espère y parvenir sinon QUAND TU VOUDRAS mais le plus tôt possible. En attendant je me contente de mâcher mon amour à vide, c’est un bonheur bien négatif et qui ne vaut pas la peine de remuer les mâchoires. Bonjour, mon petit homme, bonjour, portez-vous bien, savez-vous, cochon de Français, et tâchez de m’aimer pour une fois voir que ce n’est pas pour dire. Je n’ose pas vous prier de venir avec parce que je crains d’abuser de votre complaisance, n’est-ce pas ? Oui, oui, qu’est-ce que c’est que ça pour un homme ? Mais je serais très heureuse si vous pouviez me faire sortir un peu aujourd’hui QUAND TU VOUDRAS. J’ai un très violent mal de tête qui demande, sinon à paître, à courir à travers choux et flamands. Je crois que j’aurais besoin d’un traitement beaucoup moins fantastique que celui de M. Yvan. Je sens que j’aurais besoin de beaucoup d’air et de bonheur mais plus de bonheur que d’air, celui-ci pouvant très bien suppléer à toutes les autres conditions hygiéniques. QUAND TU VOUDRAS en faire l’expérience tu pourras t’en assurer. D’ici là, mon petit Toto, je fais de nécessité vertu et je tâche de faire de la croûte de mon pain sec, le lard de ma mie rassis. C’est ça des POSTURES peu avantageuses. Lavez-vous, cochon de Français ! Si jamais vous revenez avec QUAND TU VOUDRAS je l’irais dire à Rome par télégraphe sous-marin.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 319-320
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 20 avril 1852, mardi après-midi, 2 h.

Tu ne m’as rien fait dire, mon bon petit homme, mais j’espère que tu vas bien et je suis sûre que tu viendras le plus tôt possible tantôt. Dans cette conviction je t’attends avec toute la patience dont je suis capable et toute la confiance que tu mérites. J’ai d’ailleurs à travailler, ceci est une de mes chères distractions pour laquelle je troquerais toutes les autres. Il n’y a que toi que je lui préfère. Mais quel froid, mon pauvre bien-aimé, couvre-toi bien et fais bon feu par économie car plus tu te chaufferas et moins tes tabatières [1] te voleront de charbon. Elles y mettent si peu de discrétion qu’un demi-cent de fagots achetés il y a cinq jours est déjà consommé. Tu penses, mon pauvre bien-aimé, que si je croyais que tu as usé à ton profit tout ce chauffage je ne permettrais pas une réflexion à ce sujet mais c’est parce que je suis sûre du contraire que je trouve absurde d’entretenir ces carottières [2] de charbon que tu paies deux fois. Par ce moyen il est vrai qu’elles mettent la consommation sur le dos de MONSIEUR CHARLES. Mais son dos fût-il encore plus large et ses reins plus forts qu’ils ne pourraient pas porter la charge de leurs petites grivèleriesa depuis que tu demeures chez ellesb. Tout cela n’est pas autrement grave que de nous faire acheter du charbon d’ici à très peu de jours et au moment peut-être de quitter Bruxelles. Cher petit bien-aimé, pardonne-moi tout ce verbiage qui dit juste l’inutile et me laisse peu de place pour te dire l’agréable, le doux, le bon et le charmant : je t’aime, je te désire, je t’attends, je t’admire, je t’adore. Je voudrais passer ma vie à tes pieds, je voudrais n’être plus qu’une âme pour plonger dans la tienne et n’en plus sortir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 321-322
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « grivelleries ».
b) « elle ».

Notes

[1Le logis de Victor Hugo est situé au-dessus d’un débit de tabac.

[2À rapprocher de la carotte du marchand de tabac et du verbe carotter.

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