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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 avril 1852

Bruxelles, 7 avril 1852, mercredi après-midi, 2 h.

Mais, mon cher petit homme, j’aime mieux ne pas guérir jamais de ma gale si cela peut vous attirer une fois de plus chez moi. Tiens, je trouve cela trop doux pour ne pas le préférer à toute la santé et à toute la beauté du monde. Soyez sûr que si j’avais pu me douter de votre bonne visite ce matin, je me serais faite plus malade encore car je ne serais pas sortie de mon lit. Une autre foisa, mon bon petit homme adoré, vous tâcherez de me faire savoir la veille vos projets du lendemain pour que j’en profite plus amplement encore que je ne l’ai fait aujourd’hui. Cependant je ne me plains pas, bien loin de là, car je suis très contente et très heureuse. Malheureusement je prévois que cette tendre sollicitude pour ma peau ne durera pas longtemps car je crois, j’allais dire je CRAINS, que ma lèpre se passe, ce qui vous DEGOÛTERA de venir me voir un peu plus souvent. Si je savais cela je descendrais tout de suite chercher la fameuse fiole de Cagliostro [1]-Yvan qu’il a laissée sur la cheminée dans l’espoir de défigurer quelques pauvres femmes inexpérimentée et je m’en frotterais la figure jusqu’à monstruosité la plus complète. Ce sera une nouvelle édition retournée de la belle et la bête. Nous verrons si vous m’aimerez assez pour me faire reprendre ma première forme de Juju. D’ici-là mon prince trop charmant, je vous aime comme une pauvre bête que je suis et je vous attends à la place où vous m’avez laissée, décidée à m’y laisser mourir si vous ne venez pas m’y retrouver. Mon Victor bien-aimé, tu vois bien que je AI heureuse puisque je te souris à travers ma rogne.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 285-286
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « autrefois ».


Bruxelles, 7 avril 1852, mercredi après-midi, 2 h. ¾

De t’avoir vu ce matin, mon petit bien-aimé, je suis presque guérie ; je suis sûre que si tu pouvais passer le reste de la journée avec moi, il n’y paraîtrait plus ce soir tant le bonheur est un puissant topique [2]. Mais je te sais trop occupé mon doux amour, pour exiger cette cure merveilleuse en un seul jour. J’attendrai donc avec toute la patience d’une femme aimée que tu puisses m’apporter la santé et la beauté, si tant est qu’il y en est encore quelque reste. Je regrette de ne pas pouvoir profiter du billet de Deschanel ce soir, mais je suis encore trop hideuse et je crains autant la grande chaleur que le froid trop vif. J’attendrai à la semaine prochaine pour aller à ce cours qui ne m’intéresse qu’à cause de toi. Mon Victor partout où tu es je me plais. Je ne suis triste et malheureuse qu’en ton absence quels quea soient les gens et les choses que je vois. C’est si vrai que je voudrais être morte tout le temps que tu es loin de moi et ne vivre que lorsque tu es là. Aussi, mon petit bien-aimé, il n’y a pas de danger que je manque la goinfrerieb de vendredi quel que soit l’état de ma figure. Tant pire si c’est sale, on ne me regardera pas, voilà tout.
J’achève cette gribouillade interrompue par la visite de Mme Wilmen et par celle du docteur Yvan. La première m’apportait un bouquet de violettes, le second l’assurance d’une prompte guérison. Tous les deux ont été les bienvenus. Mais ce qui mettrait plus de joie et de bonheur dans mon cœur, ce serait de te voir mon doux adoré. Est-ce que je ne te verrai pas encore ce jour avant le dîner ? C’est si long jusqu’à ce soir. Je t’espère, je t’attends, je te désire, je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 287-288
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « goinffrerie ».

Notes

[1Le Docteur Yvan est comparé à Cagliostro (dit Alexandre, comte de – Palerme 1743 – Urbino 1795) : En contact avec les loges maçonniques mystiques, il parcourut l’Europe et connut à Paris un très vif succès pour ses talents de guérisseur et sa pratique des sciences occultes. Compromis dans l’affaire du Collier, il fut expulsé en 1786. Condamné à mort comme franc-maçon en Italie il vit sa peine commué en détention à perpétuité.

[2Médicament topique : qui agit à l’endroit où il est appliqué sur la peau ou une muqueuse.

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