Paris, 14 juillet 1881, jeudi matin, 5 h.
« Je te donne à cette heure, / Penchée sur toi, la chose la meilleure / Que j’aia en moi […] Mon cœur, dont rien ne reste, / L’amour ôté »b [1]. Oui, mon grand bien-aimé, ces vers que tu as fait pour moi, autrefois, mon cœur les redit depuis pour toi à toutes les minutes de ma vie. Je t’ai entendu tousser plusieurs fois cette nuit de cette méchante toux qui t’a tant fait souffrir il y a deux mois et qui nous a tant inquiétésb tous. J’espère que ce vilain revenez-y ne persistera pas pour peu que tu consentesc à le surveiller et à le soigner.
Une chose qui va te surprendre, peut-être autant que moi, c’est une convocation de Demôle pour une réunion de la Gauche Républicaine dans le local no 7 aujourd’hui, 14 juillet, à une heure très précise. J’ignore de quelle importance peut être cette réunion un jour comme celui-ci mais à ta place je me tiendrais clos et couvert chez moi à regarder passer le va-et-vient de la formidable fête qui a déjà commencéd ce matin sous tes fenêtres par le chant de la Marseillaise et les cris de : Vive Victor Hugo ! poussés par les hommes et par les femmes qui se rendent en hâte au bois de Boulogne pour gagner un peu d’argent en vendant des boissons et des victuailles aux curieux que la revue et la fête attirera là en foule.
J’espère que les enfants n’ironte pas à la revue ou plutôt je le désire, pour avoir la chance de déjeuner et de dîner avec euxf, ce que je sauraig dès que leur mère sera levée. En attendant, mon grand adoré, je te souris et je te bénis avec tout mon cœur et toute mon âme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 157
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « aie ».
b) « inquiété ».
c) « consentte ».
d) « commencée ».
e) « irons ».
f) « ceux ».
g) « ne saurai ».