Paris, 26 janvier [18]72, vendredi soir 4 h.
J’espère, mon grand piocheur, que tu n’as pas eu l’idée de prendre la clef des champs, ni celle des bois, ni même la clef des amourettes [1] par ce temps de grenouilles et de gribouillis ! A ce propos je te fais souvenir que ton parapluie est ici.
Tu as dû recevoir sous enveloppe les 300 F. de Charroin que Suzanne devait te remettre en main propre ce matin. Je te fais ce petit rappel pour que tu n’oublies pas au milieu de tous tes embarras de charrettes sans parler de tes nombreux chiens à fouetter.
Dites donc, Môsieur le poëte, à quelle étonnante infirmière sont dédiés ces vers galants que vous n’avez pas jugé à propos de me faire copier [2] ? Ce petit scrupule de conscience cache probablement une grosse infamie dont mon pauvre vieux cœur aura à souffrir, hélas ! A preuve c’est que le sourire contraint que j’ai tâché d’ébaucher en commençant cette question s’achève dans mes yeux pleins de larmes. J’ai tort d’avoir encore de ces curiosités douloureuses mais j’ai encore plus tort de t’aimer en 1872 avec la même passion ardente et jalouse que j’avais en 1833. Cet anachronisme est plus qu’une faute, c’est un ridicule qu’il est juste que j’expie. Tant pis si je t’aime trop.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 23
Transcription de Guy Rosa
[Blewer]