5 décembre 1879

6 décembre 1879

Paris, 5 décembre [18]79, vendredi matin, 8 h.

Je suis contente, mon doux adoré, que tu aies passé une assez bonne nuit. Je l’avais désirée tout à fait bonne mais j’en fais tout de même ma joie de ce matin. À propos de joie, l’aspect du temps, des choses et des gens, est encore le même que celui d’hier ; toujours même neige, même absence de voiture, si ce n’est quelques rares omnibus chargés dedans et dessus jusqu’au complet, marchant au pas ; toujours mêmes^a passants, glissant^b, tombant^c et maugréant^d ; enfin toujours la même moi prête à faire ce que tu voudras, comme tu voudras quand tu voudras.
L’Officiel [1] n’est pas encore arrivé. Seulement une « convocation de l’Union Républicaine du Sénat [2] à deux heures précises dans le 2^e bureau. Recommandation d’être exact », le mot exact est souligné.
« Ordre du jour : réunion de rentrée
Signé Demôle »
Tout cela aujourd’hui, vendredi ; seulement je me demande par quelle voie et moyens tu t’y rendras ? That is the question ? En attendant une réponse, pratique, pratique, pratique… pratique, je te donne avis que le ministre de la Justice [3] sur ta demande a accordé la grâce pleine et entière de l’individu le nommé Henry Darboy [4], condamné par contumace, pour faits insurrectionnels, par décret du 27 novembre dernier.
Sur cette bonne nouvelle je t’embrasse de toute mon âme.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16400, f. 295
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette

a) « même ».
b) « glissants ».
c) « tombants ».
d) « maugréants ».

Notes

[1] Journal officiel des séances du Sénat.

[2] Groupe parlementaire informel dirigé par Léon Gambetta et créé suite aux premières élections législatives de la Troisième République, en février 1871. Dans les premières années de son existence, le groupe compte notamment dans ses rangs Victor Hugo, Louis Blanc, Garibaldi, Émile Littré et Georges Clemenceau.

[3] Il s’agit de Philippe le Royer (1826-1897), avocat général de Lyon, député du Rhône puis ministre de la Justice du 4 février 1879 au 27 décembre 1879.

[4] Le journal du Loiret du 15 juillet 1876 raconte l’incident : « Deux agents de la police de sûreté avaient arrêté, dans un village français voisin de la frontière, le neveu de M^gr Darboy, archevêque de Paris, condamné à la déportation dans une enceinte fortifiée pour participation à l’insurrection de la Commune. Le Petit Lyonnais dit que M. Darboy, profitant d’un moment où la surveillance des agents s’était relâchée, réussit, après avoir cheminé quelque temps avec escorte, à s’échapper et à passer la frontière. M. Henri Darboy était maréchal-des-logis chef à la 1^re batterie de Saône-et-Loire, au 8 février 1871, époque où il vint à Lyon dans l’intention de se présenter comme candidat aux élections à l’Assemblée Nationale.