Paris, 14 mai 1881, samedi matin, 6 h.
Quel malheur, mon grand bien-aimé, que tu ne puissesa pas faire rentrer ton sommeil dans le rail normal, car la somme des heures dispersées ça et là dans la journée serait plus que suffisante pour te constituer une bonne nuit si elle pouvait être bien réglée. Il n’en faudrait pas plus pour achever de te rendre la santé ! J’espère que cela viendra avec le beau temps et la chaleur qui s’affirmentb de plus en plus. Aujourd’hui même je pense que tu pourras essayer après ton déjeuner une petite promenade au soleil en voiture fermée pour rester dans le programme indiqué par tes médecins. Quant à moi, qui avais achevé ma nuit dès cinq heures, je me suis donnéc l’air vif du matin à bouche que veux-tu, en contemplant tes « petits canards nager » [1] et en poursuivant de mes malédictions l’affreux chat de ta belle princesse [2] faisant une guerre d’extermination aux charmants petits oiseaux de ton jardin. Enfin je me suis arrachée à ce spectacle moitié idylle et moitié drame pour venir me délecter dans ma chère restitus que je te gribouille au soleil, toutes fenêtres ouvertes, et devant quelques rares passants, ouvriers matineux, matinals ou matinaux, à ton choix, et à celui de la grammaire que j’ignore. Heureusement que le cœur peut se passer de syntaxe pour dire : je t’aime.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 102
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « puisse ».
b) « s’affirme ».
c) « donnée ».