Paris, 21 février 1881, lundi matin, 7 h. ½
Cher bien-aimé, quel quea soit ton rêve étoilé [1] en ce moment, il ne saurait atteindre la hauteur de la réalité sublime des choses qui se passent autour de toi depuis quelques jours car jamais rien de pareil ne s’était produit et ne se reproduira probablement, dans ce monde terrestre : c’est à qui rivalisera d’admiration, d’enthousiasme et de vénération pour toi. Aussi les adhésions et les bénédictions accourent des quatre points de l’horizon pour acclamer et fêter ton glorieux anniversaire [2] et l’on entend dans l’air comme un bruissement d’âmes autour de ton nom sidéral. J’en suis éblouie et attendrie jusqu’aux larmes et j’éprouve le besoin de me prosterner dévotement devant ton génie comme devant Dieu lui-même. Ma pensée titube dans l’ivresse générale et se cogne à tous les mots sans pouvoir en mettre un d’aplomb. Mais tu dois sentir que je t’aime, je t’aime, je t’aime éperdument !
Je me suis déjà informée de la nuit de Petite Jeanne, laquelle n’a pas été mauvaise. Émile Allix est venu à une heure du matin la voir et il pense que ce n’est qu’une simple indisposition de la saison et dont un petit purgatif aura tout de suite raison. Je le crois comme lui et j’en suis bien contente. En attendant, mon grand bien-aimé, les lettres s’accumulent et les journaux aussi au point de ne savoir à qui et auquelb entendre. J’en ai un mal de tête fou. Il fait d’ailleurs un temps à migraine ce matin et tu fais bien de t’y soustraire en dormant de ton mieux.
Voilà, mon cher grand homme, les nouvelles extérieures et intérieures de ton royaume matériel et de ton royaume moral.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 35-36
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « quelque ».
b) « au quel ».