17 novembre [1841], mercredi soir, 9 h. ½
J’ai dînéa, j’ai lu vos quatre petites pages, j’ai fait rentrer monsieur Jacquot dans sa cage non sans peine et sans grincement de bec, maintenant je vais COPIRE vos quatre petites pages. Je le répète, parce qu’en effet elles sont trop courtes et trop peu serrées de lignes, quoique vous ayez trouvé moyen enb si peu de mots de glisser un compliment à la péronnellec anglaise. Je ne lui conseille cependant pas de vous montrer sa jarretière même de loin si elle ne veut pas avoir une raclée soignée de ma main. Il faut que vous ayez bien peu de cœur français pour faire des PLATITUDES à cette goddam fadasse, blondasse et filasse [1]. Je suis sûre que Jacquot a plus d’esprit national dans le petit bout de sa queue que vous dans tout votre corps. Taisez-vous, taisez-vous, vous êtes un traître que je désavoue et que je méprise. Je ne sais pas où j’avais les yeux le jour où je me suis enmourachée de vous. Heureusement que tous les jours les écailles me tombent des yeux et je commence à entrevoir votre NOIRE ÂME. Le jour où je verrai tout à fait clair, vous ne serez pas blanc. Ce jour ne tardera pas, je l’espère, au train dont vous allez dans la carrière du vice et de la flatterie.
Tout cela n’empêche pas que je n’ai plus qu’un mois et 12 jours et qued je me lèche d’avance les barbes et les babines [2]. Si vous venez cette nuit, je vous préviens que je me lèverai plus tôte que 4 heures de l’après-midi pour pouvoir parler à Mlle Hureau si elle vient comme elle l’a promis à Suzanne [3]. D’ailleurs, vous pouvez venir un peu plus tôte vous coucher, de cette façon nous serons le même temps ensemble et je pourrai recevoir cette demoiselle à laquelle il est nécessaire que je parle. Et puis, si vous ne voulez pas, cela me sera encore bien égal, j’aime mieux vous avoir et en passer par vous où vous voudrez. Ceci est la plus pure vérité et je ne ris plus quand je vous dis que je n’ai de joie qu’avec vous et de bonheur que lorsque vous êtes là. Je me fiche de Jacquot, des péronnellesc anglaises, française, alsaciennes, prussiennes et autrichiennes, pourvu que je vous voief et que je sois avec vous. Baisez-moi, mon Toto, je vais me mettre à copier pour que vous me redonniez bien vite la suite car je ne veux plus de l’aide de manzelle poupée [4]. Je veux finir à moi toute seule ce qui reste à faire et je veux vous aimer toute ma vie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 127-128
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « dîner ».
b) « d’en ».
c) « péronelle » et « péronelles ».
d) « que que ».
e) « plutôt ».
f) « vois ».