Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1841 > Novembre > 1

1er novembre 1841

1er novembre [1841], lundi matin, 11 h.

J’espérais que tu viendrais ce matin, mon Toto bien-aimé, en l’honneur du triste anniversaire de notre retour et que nous passerions toute cette journée à nous aimer et à nous regretter de toute notre âme. Sans doute tu ne l’auras pu, mon pauvre bien-aimé, et tu auras passé tout le reste de la nuit à travailler. Mon pauvre ange, je t’aime, je te vénère, je t’admire, je t’adore. Ce ne sont pas des banalités d’amoureux que je te dis là, ce sont les plus saintes et les plus senties pensées de mon cœur que je dis comme je peux. C’est bien bien vrai, mon bien-aimé Victor.
Dans le moment où je t’écris, je vois chaque arbre de la route, chaque maison, la paysanne en sabots neufs, le vieux Pont Louis XV, les inscriptions latines, le berger dans le champ, les talus et les bancs du sacre, un brin d’herbe, une paille, un oiseau qui passe, les flammes des lanciers qui reviennent de la manœuvre, tout cela à travers le petit carreau de la rotonde de notre coucou. Je vois encore le petit homme des bois et sa belle compagne oscillante et sautillante à chaque cahota de la voiture. Mais surtout, ce que je n’ai pas cessé de sentir depuis ce jour-là, dont l’impression me sera toujours présente, c’est la douceur de ton regard, l’étreinte de ta chère petite main, le parfum ravissant de ton haleine, mon amour et mes regrets [1].
Jamais homme n’aura été et ne sera aimé d’une femme comme toi par moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 79-80
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « caho ».


1er novembre [1841], lundi soir, 6 h. ¾

Je ne t’en veux pas, mon Toto, car je sens plus que je ne peux le dire la fatigue et les ennuis auxquelsa tu es en proie dans ce moment-ci, mais je me plains de t’aimer trop et d’être si mal partagée en bonheur. J’espère que tu ne viendras pas trop tard ce soir, mon Toto, et que les juges, les avocats et le diable ne te retiendront pas jusqu’à 2 h. du matin [2]. Hélas ! mon pauvre bien-aimé, j’avais plus aujourd’hui encore s’il est possible besoin de te voir, besoin de ton regard, besoin de ton amour pour me faire oublier cette journée doublement triste puisqu’elle me rappelle l’affreux jour où nous sommes rentrés à Paris pour n’en plus sortir que lorsqu’il plaira à Dieu, aux directeurs [3], aux éditeurs [4] et le reste de nous laisser aller. Enfin, mon pauvre bien-aimé, puisqu’il faut que je passe ma journée seule et triste, tâche qu’elle soit la moins longue possible.
Voici ma pauvre Joséphine que je n’avais pas vue depuis un mois. Je ne serai pas aussi seule que je le croyais mais cela ne me console pas de ton absence. Il n’y a que toi qui puissesb me faire oublier ton absence, le reste m’est égal quand cela ne m’est pas insupportable. Je t’aime, mon Toto, je baise tes chers petits pieds à la condition qu’ils vous ramèneront bien vite vers moi. Jour Toto, jour mon petit o. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 81-82
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « auquels ».
b) « puisse ».

Notes

[1Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. L’année précédente, ils ont ainsi visité les bords du Rhin et la vallée du Neckar et sont revenus de leur voyage le 1er novembre 1840 mais en 1841, le poète est trop occupé par la rédaction monumentale du Rhin et leur voyage annuel n’aura pas lieu.

[2L’opéra de Donizetti adapté de Lucrèce Borgia, créé à Milan en 1833, est joué au Théâtre-Italien à la fin du mois d’octobre 1840. Hugo fait arrêter ces représentations en février 1841, après avoir refusé à Étienne Monnier le droit de publier sa traduction en français du livret ; mais Monnier était passé outre. Hugo fait savoir aux directeurs de théâtres parisiens et de province qu’ils s’exposent à un procès en contrefaçon s’ils représentent l’opéra. Les théâtres de Metz, Nancy et Lyon ayant bravé cet avertissement, Hugo, soutenu par la SACD, intente un procès en contrefaçon contre le traducteur, l’éditeur de musique et le directeur du théâtre de Metz. Hugo et son avocat Paillard de Villeneuve gagnent leur procès. Après l’appel, le jugement définitif est prononcé le 5 novembre 1841.

[3Ruy Blas est repris à la Porte-Saint-Martin depuis le 11 août 1841, avec Frédérick-Lemaître et Raucourt, pour de nombreuses représentations. Ce sont les frères Cogniard qui ont repris la direction du théâtre en 1841 après la faillite d’Harel et les relations que Hugo entretient avec eux sont tumultueuses.

[4Hugo est en train d’achever la monumentale rédaction du Rhin pour une parution en deux volumes début 1842.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne