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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juillet [1841], mercredi soir, 7 h. ¾

Vous pensez bien, mon amour, que pour ne vous avoir pas copié tout de suite, je n’ai pas eu la stupide patience d’attendre à demain pour vous dévorer : paysages, enfant, houris, chaises de poste, tonnerre, voyageurs, bateau poste, cimetièrea, sérénade ours, ours, ours, ours, ours, ours, le loup, la masure, la vieille femme, l’église, y … baraque en plein vent, villageois, villageoises, Égyptien, Sbrigani, philosophes de l’Antiquité, poètes, gale, chameau, Hurons, Botocudos Mittigouchlouekendalakiankb, charlatan et académicien. J’ai tout trituré, tout avalé, tout engloutic et je m’en fais mon compliment [1]. Quel homme vous êtes ! Quelle platine que votre crayon ou votre plume ! Quelle cascade de menteries, quelled effroyable avalanche de blagues, quelle consommation d’ours ! Saint-Antoine lui-même, le petit et le grand Saint-Antoine [2], pâliraient devant cette magnifique guirlande d’ours tressée pour la plus grande admiration et la plus parfaite crédulité des six mille milliards de lecteurs qui la goberont en [vous] lisant cela. Mâtin de chien, vous n’y allez pas de blague morte : quelle verve, quel entrain, quelle érudition, quelle poésie et quelle monstrueuse CACOPHONIE. C’est affaire à vous, mon CHER AMI, et je suis votre très humble et très admiratrice Juju à pied, à cheval, en bateau, sur la terre et sur l’onde, sur les canaux et les grandes routes, dans les villages et dans les ruines, partout, partout où vous voyagez et où j’ai le bonheur de vous suivre. Selon les pays vous blaguez, selon, selon les pays vous blaguez et moi infortunée triste à patte, je vous admire et vous VÉNÈRE [3].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 49-50
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « cimetierre ».
b) Ce mot est employé dans le texte de Hugo, et Juliette a du mal à le retranscrire exactement.
c) « engloutit ».
d) « quel ».

Notes

[1Victor Hugo est en pleine rédaction des lettres de voyage du Rhin, que Juliette recopie avec application. Tous les mots ou thèmes qu’elle mentionne ici constituent la première partie de la lettre XX du Tome II, « De Lorch à Bingen », du 27 août 1838.

[2Antoine le Grand, Antoine d’Égypte ou Antoine l’Ermite est considéré comme le fondateur de l’érémitisme chrétien, et connu pour avoir subi pendant très longtemps, retiré dans le désert d’Égypte, la multiplication des tentations du Diable sous la forme de visions enchanteresses.

[3Jean-Marc Hovasse remarque que « sur les trente-neuf lettres de l’édition définitive, onze ont été écrites à Paris […] en six mois. » Si certaines lettres sont donc authentiques, d’autres « présentent le récit d’épisodes inventés, mais donnés pour vrais, sur des lieux où le voyageur est bien passé, comme à Bingen. D’autres enfin, plus périlleuses, ont pour sujet des villes où il n’a jamais mis les pieds. […] La vingtième, qui raconte l’itinéraire supposé “De Lorch à Bingen” [remporte] la palme de la fantaisie. » Cette lettre est écrite en un peu moins de trois semaines, et « fait un véritable roman de seize kilomètres à pied sur la fameuse rive gauche, qui ont été en réalité parcourus en deux heures de bateau à vapeur » (Victor Hugo, t. I, ouvrage cité, p. 836- 837). Et si Juliette connaît si bien la vérité, c’est que depuis 1834 elle accompagne durant quelques semaines ou mois, pendant l’été et le printemps, le poète dans ses voyages.

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