22 mai [1841], samedi matin, 10 h.
Bonjour mon cher adoré bien-aimé, bonjour mon amour, bonjour mon Toto ravissant, je t’aime. Je viens de recevoir une lettre de la mère Pierceau que j’ai reconnue à son écriture et à son cachet, ce qui m’a autoriséea à l’ouvrir. Elle contient des compliments pour ma fête [1] et surtout mille rugissements de bonheur des Pierceaub et des Desmousseauxc pour les places que tu as eu l’imprudence de me faire leur offrir pour le jour de ta réception [2]. Du reste, je n’ai aucune nouvelle de Mme Krafft, ce qui est très héroïque [3].
J’attends ma fille aujourd’hui et M. Triger tantôt [4]. Quant à ma fille je suis bien sûre, mon adoré, que tu ne voudras pas nous faire un chagrin irréparabled le jour de sa 1re communion. [5] Je suis assez résignée tout le long de l’année et toujours prête à faire ce que tu désirese à minuit comme à midi, à 2 heures du matin comme à sept, pour que tu aies la complaisance une seule fois dans la vie de me rendre la pareille. Aussi, mon bien-aimé, je compte là-dessus comme sur l’évangile ou plutôt comme sur ton amour, ce qui est mon évangile de tous les jours, pour être exact à l’heure ce seul jour-là.
Je t’aime et je t’adore.
Je viens d’envoyer le petit bandeau chez le bijoutier [6].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 175-176
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « autorisé ».
b) « Pierceaux ».
c) « Démousseaux ».
d) « irréparrable ».
f) « désire ».
22 mai [1841], samedi après-midi, 2 h. ¾
Je suis sous les armes [7], mon adoré, toute prête à tout, même à aller manger la matelotea [8] sous les Marronniersb [9] en fleurs ou non, par la pluie et par le soleil, sur la terre et sur l’onde, avec ou sans PARASOL [10]. Hélas, toutes ces bonnes dispositions n’aboutiront qu’à une consultation de médecin stupide et rien de plus. Enfin j’ai été si heureuse et si comblée hier que je n’ai pas le droit de me plaindre, ni aujourd’hui, ni demain, ni les autres jours d’ici à bien longtemps, bien longtemps.
J’ai mis ma chère petite lettre avec le manuscrit après l’avoir lue et relue, baisée et rebaisée, parce que sur mon cœur elle s’use trop vite et qu’il faut que je la ménage pour la garder jusqu’à ma mort [11]. Je t’aime, mon Toto, tâchez de ne pas passer tout votre temps chez Mme Picardet [12] etc d’être ici tout à l’heure pour la consultation du célèbre Triger. Baisez-moi, vieux pôlisson, et aimez-moi, je vous l’ordonne.
Claire n’est pas encore venue.
Je vous aime, entendez-vous.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 177-178
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « matelotte ».
b) « maronniers ».
c) « et et ».