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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mars 1841

28 mars [1841], dimanche matin, 10 h. ½

Bonjour Toto, bonjour vilain monstre d’homme, bonjour le plus incroyable des Toto. Il n’y a ni fête ni dimanche avec vous, ni jours de la semaine ni rien du tout. C’est charmant en vérité. Dans huit ou dix jours il y aura infirmité et impossibilité physiquea de me donner aucun signe de vie, alors il est probable que vous viendrez déjeuner chez moi. Voime, fort espiègle en vérité.
J’ai eu des rêves affreux de jalousie cette nuit et tout à l’heure encore. Ce qui m’a réveillée, c’est que Joséphine me disait vous avoir rencontré hier à la Madeleine avec une FAUMEb sous le bras. L’exaspération que cela m’a causéec m’a réveilléed brusquement, il était temps car j’étouffais. Baisez-moi, affreux bonhomme, et ne me trahissez jamais si vous tenez à vos précieux jours. Tâchez aussi de ne pas attendre que les Anglais soient débarqués [1] pour vous présenter en armes à votre poste. Je ne serai pas dupe de cette feinte vaillantise, je vous en préviens. J’espère que vu la saison vous comprendrez la parabole.
Il fait bien beau ce matin, le soleil illumine admirablement les panneauxe de ma chambre. Je donnerais mon petit doigt pour être à six lieues de Paris ce matin avec vous et pour être sûre de n’y revenir que cette nuit tard, tard, tard. Ce n’est cependant pas une ambition bien exorbitante, eh bien elle n’en sera pas plus satisfaite pour cela. Décidément je vous aime trop, mon cher petit Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 291-292
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « phisique ».
b) Le mot en majuscules est souligné deux fois.
c) « causé ».
d) « réveillé ».
e) « paneaux »


28 mars [1841], dimanche après-midi, 3 h. ½

Je vous envoie mon souffle, ma pensée, mon cœur, mon âme dans un baiser, mon amour. Je vous désire, je vous attends, je vous espère. Quel temps ravissant et que je voudrais pouvoir en profiter avec vous. Heidelberg doit être bien admirable à présent. Je donnerais deux sous et dix ans de ma vie pour être avec vous dans ce moment sur le Königstuhl [2]. Je ne suis pas très bête comme vous voyez. Baisez-moi vieux scélérat.
Je ne sais pas si la mère Pierceau et Mme Triger se risqueront aujourd’hui, dans tous les cas j’ai ma poule au pot toute prête à les recevoir [3].
Le bottier t’a apporté tes petites beuttes, elles ont l’air ravissantes [4]. Je viens d’envoyer Suzanne chez Lambin pour t’acheter de l’élixir et un cordon de montre. S’il n’est pas fermé tu auras tout cela aujourd’hui mais moi je n’aurai plus d’argent, pas même pour la blanchisseuse qui vient demain. Quel bonheur !!! Jour Toto, jour mon petit o, quand donc viendrez-vous déjeuner avec moi ? Je vous attends toujours dans le vide, tâchez donc de venir cette nuit. Voici Suzanne avec de l’élixir et un cordon.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 293-294
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Les deux derniers mois, Hugo est venu à dessein lorsque Juliette avait ses règles, moment toujours très douloureux pour elle, et à l’occasion duquel elle déplore le manque d’entrain et de « volupté » de son amant en ce qui concerne d’éventuelles relations intimes qu’elle réclame pourtant. Elle en parle fréquemment avec des métaphores militaires.

[2Juliette fait ici référence au voyage effectué avec Hugo, de fin août à début novembre 1840, sur les bords du Rhin et dans la vallée du Neckar. À cette occasion, Hugo visite la ville d’Heidelberg, lieu romantique qui a inspiré de nombreux poètes, et il décrit sa promenade, au clair de lune, sur la Montagne Sacrée, qui l’a conduit jusqu’au Heidenloch, une fosse mystérieuse appelée aussi « Trou des païens » (Le Rhin, Tome III, Lettre XXVIII, « Heidelberg »).

[3En général, le dimanche soir, quelques amies de Juliette Drouet viennent dîner chez elle. Il s’agit de Mme Triger, de Mme Guérard, de Mme Besacenot et de Mme Pierceau.

[4Hugo affectionne ses vieilles bottes percées et Juliette, toujours inquiète pour sa santé, craint qu’il n’attrape une mauvaise maladie. Elle lui fait donc régulièrement faire des bottes neuves en espérant aussi que cela soit une raison de plus de le faire venir chez elle. Malheureusement le poète, grand marcheur, préfère en général conserver celles qui sont très abîmées plutôt qu’en mettre de nouvelles qui le feraient souffrir.

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