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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 avril 1841

7 avril [1841], mercredi midi

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon adoré petit homme. Pourquoi n’es-tu pas revenu, vilain petit homme ? C’est d’autant plus mal que j’avais à te demander pardon d’un excès de susceptibilité qui a été cause d’une scène triste entre nous cette nuit. Une autre fois, mon bien-aimé, je te prie de ne pas faire attention à ma tristesse puisqu’en général tu l’interprètesa mal. Par exemple hier, j’espérais retrouver le journal qui contenait les deux lignes causes du petit trouble survenu entre nous. J’espérais que ta confiance et ma parfaite innocence seraient ainsi récompensées mais ne les trouvant pas je n’ai pas pu m’empêcher d’être triste dans l’âme. Certes, pour un homme moins soupçonneux que toi cela n’aurait pas dû t’inquiéter, au contraire car il était évident que puisque j’avais du chagrin de ne pas trouver ce journal, c’est que j’aurais eu de la joie dans le cas contraire. Cela prouvait et pour ma probité et pour mon amour, mais tu es si défiant que tout te semble suspect. C’est une bien grande calamitéb dans une liaison comme la nôtre qu’un caractère comme le tien et qu’un amour comme le mien. C’est un supplicec de tous les instants, c’est une contrainte continuelle, tout chez moi est à l’état douloureux. Si je te parle de choses indifférentes et étrangères à nous je m’arrête au milieu d’un mot dans la crainte d’éveiller tes soupçons, ce qui me donne l’air d’une imbéciled. Si je te caresse et si je m’épanche en toi je tremble que ta jalousie ne vienne à la traverse. Enfin je suis très malheureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 25-26
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « interprète ».
b) « calammité ».
c) « suplice ».
d) « imbécille ».


7 avril [1841], mercredi soir, 9 h

Je viens de dîner, mon chéri, mais je n’ai encore fait ni ta tisanea ni ma lampe. J’ai un mal de tête absurde et il est probable que je me coucherai aussitôt que j’aurai fait ces deux choses et que je me serai un peu débarbouillée.
Vous voilà avec une bonne provision de raisin, mon adoré, mais comme il se gardera tant qu’on voudra maintenant je vous conseille d’en manger un peu moins tous les soirs afin de vous faire plus longtemps du bien [1]. Ordinairement je me contente d’ôter les grains les plus pourris mais cette fois-ci je l’ai assaini grain à grain, de sorte que j’y ai passé la journée tout entière comme tu as pu le voir, mon adoré. Je ne le regrette pas parce que ce sera mon bonheur de te voir manger cela sans répugnance et avec plaisir, et puis cela te fait du bien. Avec ce mot-là j’en éplucherais bien d’autres.
La penaillon a apporté ta toile à caleçonb et ton coutil mais elle croyait que je me servais de l’autre toile et elle n’en a apporté que pour trois caleçonsb [2]. Si les ouvrières réussissent à les bien faire on sera à même d’en racheter car quant à la première elle est décidément trop fine. Je vous aime, mon Toto chéri. Je t’adore, mon petit bien-aimé. Reviens bien vite, mon joyauc, j’ai besoin de te voir et de te caresser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 27-28
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « tisanne ».
b) « caleçon » et « caleçons ».
c) « joyaux ».

Notes

[1Le raisin est l’un des fruits préférés de Hugo et Juliette s’arrange pour en avoir le plus souvent possible lorsque c’est la saison.

[2Juliette se charge en général de raccommoder elle-même les vieux vêtements de Hugo, ou bien d’en faire coudre de nouveaux par Pauline, son ouvrière. C’est le cas notamment de ses caleçons.

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