15 janvier [1841], vendredi matin, 9 h. ¼
Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon cher bien-aimé. Comment vas-tu ce matin, mon amour ? Moi je vais bien quoique j’aie fort peu dormi. J’ai entendu sonner 3 h. cette nuit sans me sentir la moindre envie de dormir et j’étais réveillée à huit heures. Tu vois que j’ai très peu dormi et qu’il s’en faut de beaucoup que j’aie fait mes HUIT heures. Malheureusement, ceci ne peut pas me compter dans mon prix de vertu. C’est dommage car enfin il serait bon de rembourrer vingt ans de prix Montyona [1] par toutes sortes de choses qui feraientb ventre, sauf à fermer l’entrée du sac par les BAUTTES SUR LE LIT [2]. VOIME,VOIME.
Pourquoi n’es-tu pas revenu ce matin, mon bien-aimé ? Tu me l’avais tant promis cette nuit que je croyais devoir un peu compterc sur ta promesse, quoique je sache par expérience combien elle est FALLACIEUSE en tout ce qui regarde mon bonheur. Je ne veux pas trop te grogner, mon amour, parce que je sens dans le fond des entrailles que je ne t’en veux pas. Je sais que tu as travaillé pour moi et j’ai le cœur plein de pitié, de reconnaissance et d’amour. Je voudrais baiser tes chers petits pieds et te bercer dans mes bras. Je t’aime, mon adoré petit homme, avec le cœur et l’âme. Je t’aime de tous les amours à la fois, comme une mère, comme une femme et comme une dévote car je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 43-44
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « Monthyon ».
b) « ferait ».
c) « compté ».
15 janvier [1841], vendredi soir, 10 h. ½
Ma pendule avance de prèsa d’une heure [3], mon cher adoré. Je ne t’ai pas écrit plus tôtb parce que derrière toi est arrivée Mme Lanvin qui venait de la pension et de chez la maîtresse de DESSIN. Son mari ira demain pour la reconnaissance et pour faire acquitter la note du trimestre qui se monte en tout à 154 F. 25 sous [4]. Il est vrai de dire qu’il n’y a qu’un mois de dessin et deux mois de piano, la maîtresse ayant été malade et Claire ayant eu des vacances à notre retour de voyage [5].
Bref, sur les 190 F. restant tantôt dans mon tiroir, l’argent de la reconnaissance donné, je n’ai plus que 25 F., mais il me faudra du vin d’ici à deux ou trois jours et deux bouteilles d’élixir pour nous. Je voudrais même que tu pensassesc à me rapporterd la petite bouteille vide, ce sera toujours deux sous de plus dans ma poche et j’y tiens beaucoup.
Mon pauvre adoré, je ris mais je n’en ai pas envie quand je pense comment tu gagnes l’argent que tu me donnes, j’ai plutôt envie de pleurer et de me sauver à l’autre bout du monde tant j’ai pitié de tes pauvres yeux et de ton repos que tu sacrifiese si généreusement pour moi toutes les nuits. Mon amour, mon Toto, ma vie, mon âme, tu ne sais pas comment je t’aime mais je souffre de ton courage et de ton dévouement et je t’adore à genoux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 45-46
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « prêt ».
b) « plutôt ».
c) « pensasse ».
d) « raporter ».
e) « sacrifient ».