6 janvier [1841], mercredi matin, 10 h. ¾
Bonjour, mon Toto petit bien-aimé, bonjour mon amour. Je commence à désirer que l’Académie vous reçoive dans son SEIN [1]. Je trouve un peu long et un peu bête cet état de candidat qui me prive du meilleur de votre temps et de votre amour. Je commence à en avoir plein le dos et je ne serais pas fâchée que cela finisse demain, dussiez-vous embrasser tous les académiciens sous le nez.
Maintenant, je ne vous demande pas pourquoi vous n’êtes pas venu ce matin, puisque j’en connais trop la cause [2]. J’espère que demain à trois heures ce sera fini et que je rentrerai en possession de mes matinées et de quelques-unes de vos soirées ? Je me tais jusque là mais après, gare les criailleries et les calottes NON GRECQUES [3].
À propos, la bonne vient de ramasser 7 F. à vous sur le seuil de la porte de la chambre à coucher. Les bords du tapis ont empêché qu’on ne les entendît tomber mais je crains que vous n’en ayez fait autant dans la rue sur la neige, auquel cas votre argent est perdu pour vous, ce qui est déjà trop académicien pour un simple candidat que vous êtes encore. Mais je vous rendrai votre argent tantôt, je ne veux pas profiter de votre malheur. Tâchez, de votre côté, d’y mettre autant de délicatesse en le venant chercher le plus tôta possible, ce qui me donnera l’occasion de vous voir et de vous embrasser de tout mon cœur. Je vous aime, Toto, n’oubliez pas cela, mon amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 13-14
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « le plutôt ».
6 janvier [1841], mercredi soir, 5 h.
Tu as ta chère petite bouche toute fiévreuse, mon amour, c’est sans doute l’affaire de demain qui en est la cause. Je voudrais sérieusement qu’elle fût passée et finie à tout jamais car vraiment cela devient fatiganta à la longue. Je continue plus que jamais à ne pas te voir mais ce n’est pas le jour ni le moment de le remarquer. Après-demain à la bonne heure. D’ici là, je ronge mon frein et je m’embête cordialement.
J’aurais bien dû garder vos sept francs, vieux Chinois [4], pour me faire une culotte de quelque chose. Une autre fois ne perdez rien chez moi car je ne vous le rendrai pas. Mon marchand de vin m’a enfin envoyé mes étrennes annuelles, ce sont les seules que je recevrai cette année et je m’en [félicite ?] car nous sommes trop bas percés pour nous permettre de ces facéties-là. Je boirai mon vin en tête à tête avec vous et en l’honneur de la SOLENNITÉ de demain, quels qu’en soientb les ÉLUS. Une distraction de soularde m’avait fait mettre en tête à tête avec moi au lieu de vous mais Dieu sait que l’animal a seul fait la méprise mais que l’intention et le vœuc de mon cœur étaientd que nous nous ivrions [5] ensemble. Maintenant, croyez-moi car c’est la vraie vérité qui se trouve toujours dans le vin comme vous savez [6]. Baisez-moi, mon pauvre candidat, et honorez-moi de votre faim ce soir, cela vous portera bonheur pour demain. J’ai un biftecke et des épinards au sucre qui vous tendent les bras, tendez-leur la bouche et tout ira bien car je vous aime de tout mon cœur, Toto.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 15-16
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « fatiguant ».
b) « quelqu’en soit ».
c) « vœux ».
d) « était ».
e) « biffeteck ».