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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 juillet 1836

21 juillet [1836], jeudi, midi ¾

Me voici de nouveau réduite à vous écrire tout ce qui me passe par le cœur, mon cher adoré, ce qui constitue un maigre bonheur après celui que nous venons de dévorer [1]. Enfin il faut bien prendre la vie comme elle est et j’aurais mauvaise grâce à me plaindre car, après tout, un mois comme celui que nous venons de passer rachèterait toute une vie d’ennuis et de malheur. Pauvre ange, depuis que tu m’as quittée je suis comme seule et perdue dans le monde. C’est un isolement et un vide affreux dont tu ne peux pas te faire une idée, toi qui es entouré à l’heure qu’il est de toutes les affections depuis l’enfant ravissant jusqu’à l’ami dévoué. Moi qui suis seule avec mon amour c’est-à-dire seule dans l’immensité, car mon amour n’a pas de bornes, je m’abuse tant que je puis, je te parle je t’écris je te respire j’ai avec moi ton mouchoir tout imprégné de toi, avec ton nom adoré, au coin, je le baise, je cause avec lui, nous nous entendons très bien. Pour tous les baisers que je lui donne il me rend ton odeur parfumée, ton odeur qui n’est qu’à toi, il me semble que je sens ton âme. Et puis je pleure comme dans un beau rêve quand on sent qu’on va se réveiller. Mon Dieu que je t’aime mon Dieu tu es ma vie tu es ma joie. Je t’adore.

Juliette

BNF, Mss, NAF 16327, f. 166-167
Transcription de Nicole Savy


21 juillet [1836], jeudi soir, 9 h.

Mon cher bien-aimé, au lieu de me nier tantôt une chose aussi évidente que celle de Fourqueux [2] vous auriez bien mieux fait de me dire comment vous comptiez y passer la nuit et avec qui vous coucheriez. Depuis que vous êtes parti mon cher adoré je n’ai pas autre chose dans la tête et j’ai failli me mettre en route dix fois pour aller vous demander ce que ça deviendrait ; je suis jalouse aussi moi, malheureusement je sais bien de quoi et de qui, c’est un avantage que j’ai sur vous et que je vous céderais bien volontiers car cela me fait trop souffrir. Je ne sais pas de quellea humeur vous me trouverez demain si tant est que vous veniez demain, car la nuit qui va se passer me fera craindre beaucoup trop de choses tristes, qui seront peut-être vraies demain [3]. Dans tous les cas mon cher Victor je crois que vous êtes trop honnête homme pour me tromper aussi affreusement, et que vous aurez la franchise de tout me dire, quoi que ce soit, plutôt que de me le laisser découvrir.
J’ai très mal à la tête et je suis très fatiguée. Je souffre beaucoup. Et je sens que je vous aime encore plus que d’habitude.

Juliette

BNF, mss, NAF 16327, f. 168-169
Transcription de Nicole Savy

a) « quel ».

Notes

[1Juliette se retrouve seule chez elle, après un voyage de plus d’un mois avec Victor en Normandie.

[2Cet été-là, Victor a loué une maison à Fourqueux, entre Saint-Germain-en-Laye et Marly-le-Roi, pour sa famille et ses amis. Il fait des allers et retours fréquents depuis la Place royale.

[3« Demain » répété trois fois, la faute d’orthographe, le vouvoiement et l’usage du prénom Victor : autant de marques du trouble de Juliette.

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