23 janvier 1840

24 janvier 1840

23 janvier [1840], jeudi, midi ¾

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour mon bon petit homme. Tu n’es pas revenu malgré toutes les promesses que tu m’as faites et tu as profité de cela pour t’en aller plus tôt^a, méchant petit homme, une autre fois^b je tiendrai bon et je ne vous lâcherai qu’à bon escient. Tenez-vous le pour dit.
Je ne te remercie pas, mon adoré, je t’aime et dans l’amour il y a tout. Je ne sais pas ce que cela veut dire, il est venu ce matin pendant que je dormais une fille de la part de Chapelle. La bonne lui a dit que je dormais et qu’elle revînt plus tard. Mais dans tous les cas si Chapelle prétend envoyer chercher de l’argent chez moi tous les huit jours, il se trompe au moins d’un mois et je le lui dirai de la bonne façon. Mais j’ai bien une autre crainte, c’est que toutes ces filles ne soient d’affreuses chamareuses VOLEUSES qui entendant M^me Chapelle parler de ma dette viennent toucher en son nom. C’est ça qui serait gentil. Il faudra un jour que nous irons chez la mère Pierceau [que] nous passions sur le boulevard et que j’entre chez M^me Chapelle pour savoir au juste ce qui en est. Je n’ai pas besoin moi de servir de dupe au vol à la DETTE. Je me passerai bien de ces sortes de BONJOUR. Baise-moi mon Toto chéri, viens me voir très tôt. Il n’est pas probable que tu aies tes petites filles à conduire aujourd’hui, ainsi donne-moi quelques gouttes de bonheur pour mettre dans toute cette longue journée triste et froide. En attendant, je pense à toi avec dévotion et avec reconnaissance et je t’aime de toute mon âme, mon cher petit Toto chéri.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 84-85
Transcription de Chantal Brière

a) « plutôt ».
b) « autrefois ».

23 janvier [1840], jeudi soir, 5 h. ½

J’ai reçu tantôt, mon Toto, une lettre de Manière apportée par un commissionnaire, ce qui m’a obligée à la décacheter pour voir s’il ne demandait pas une réponse immédiate : pas du tout, à travers les compliments pour toi et pour moi il me mande un cancan de théâtre dans lequel il voudrait fourrer son nez d’une façon ou d’autre, soit pour savoir si tu donneras ta pièce [1] à Harel et en faire son profit en faisant la mouche du coche vis-à-vis des [illis.] et autres pour obtenir la place de Delangle [2] qu’on lui a presque promise, dit-il, et que toi seul peut lui donner, dit-il encore, enfin tu verras sa lettre. Mais mon avis, après le tien bien entendu, est qu’il ne faut pas laisser Manière se faufiler dans tes affaires même pour l’obliger. Il m’annonce en même temps sa visite pour demain dans l’espoir de te voir et de te parler de cette affaire : du reste il se cache plus que jamais ce qui n’est pas encore un très bon signe.
J’ai écrit à Jourdain pour le prévenir de ne venir que le 2 février. Je vais tout à l’heure me mettre à copier, mais je voudrais auparavant avoir vu ta CHIENNE DE FIGURE pour me réconforter un peu. Je suis vraiment si loin et si longtemps hors de toi que je me désespère et que je tourne dans ma chambre comme un pauvre chien perdu. Je t’aime trop. Pourquoi donc ne viens-tu pas ? J’ai envoyé chercher de l’huile à brûler chez l’épicier de la rue. Je ne peux pas me passer de lampe et je n’ai pas assez d’argent pour faire venir des provisions et pour payer l’arriéré^a. Je ne veux pas prendre sur l’argent des reconnaissances car il vaut mieux en avoir trop que pas assez. Baisez-moi, vieux Toto, baisez-moi et venez tout de suite.