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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 janvier [1840], lundi après-midi, 1 h. ½

Bonjour mon petit bien-aimé, bonjour mon adoré, je commence par te dire que j’ai trouvé ce matin en me levant une lettre de Mme Krafft qui en contient une autre probablement du directeur de la Douane ou de M. Pasquier. Maintenant revenons à nous, mon Toto : j’ai lu le petit album cette nuit. J’ai admiré une seconde fois à travers ton imagination toutes les merveilles de la cathédrale de Sens y compris les vers ravissants que vous n’avez pas écritsa sur la pierre [1] de ce pauvre petit cercueil que nous avons rencontré à l’église. Mais pour ne les avoir pas écritsa sur sa pierre, ils n’en sont pas moins BEAUX, moins doux, ni moins admirables et je vous reconnais le droit de dire que vous les avez écritsa partout où vous voudrez. Je voudrais savoir aussi à quel Louis sont adressés les vers que vous avez trouvé moyen de faire le jour si triste où nous sommes rentrés dans Paris [2] ? Je ne pense pas que ce soit pour Louis Boulanger car ces vers parlent d’un homme distrait, viveur, gobelotteurb et bambocheur qui n’est pas le caractère distinctif du Boulanger que vous m’avez toujours dépeint comme un homme sombre, sans amour, ne vivant que pour la peinture et pour vous. Il existe donc un autre Louis que celui que je connais ? Et vous l’aimez assez pour oublier le chagrin et le désespoir de la pauvre Juju qui vous adore le jour si triste et si désolé de notre retour à Paris ? Hélas, j’en apprends tous les jours de fort tristes choses de ton amour et j’en prévois de plus tristes encore ! Seulement comme je me sens incapable de supporter un si grand malheur que ton indifférence, je me prépare à brusquer l’événement d’une manière irrésistible pour tous les deux. J’ai trop horreur des agonies quelconques pour envisager froidement celle de notre amour, aussi j’y couperai court. D’ailleurs JE NE VEUX PAS QUE TU M’OUBLIES.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 74-75
Transcription de Chantal Brière

a) « écrit ».
b) « jobloteur ».


20 janvier [1840], lundi soir, 5 h.

Voici la nuit, mon bon petit homme, je ne t’ai pas encore vu. Mais cependant j’espère bien que tu ne tarderas pas à venir. En attendant je vais commencer tout de suite à copier. J’ai fait acheter du papier, ainsi rien ne me retient, je vais commencer tout de suite. Je suis en peine de savoir si c’est aujourd’hui que tu dois étrenner tes petites bauttes ? Il me semble que si tu n’as pas à faire le BEAU ce soir il aurait été plus logique de commencer par emporter les bottes à Liège [3] ? Au reste cela te regarde et me regarde encore plus, et si je tiens à le savoir rien ne me sera si facile, en somme, car le jour où le soupçon me tiendra trop fort je prendrais tous les moyens pour en avoir le cœur net ; ce qui est assez juste, n’est-ce pas mon Toto ? En attendant je fais vie qui dure et je me tourmente le mieux que je peux. Je t’aime par-dessus tout, c’est tout ce que tu as le droit d’exiger, le reste m’appartient et je peux en faire ce que je voudrai. Pour le moment j’en fais de la jalousie et de la tristesse. Jour Toto, papa est bien i. Jour onjour. Baise-moi, aime-moi et sois-moi fidèle, mon pauvre bien adoré, car ce serait un bien grand crime vraiment que de me tromper. Je te suis si fidèle, moi, si dévouéea, si dévote qu’il y aurait plus que de la cruauté à ne pas m’aimer de tout ton cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 76-77
Transcription de Chantal Brière

a) « dévoué ».

Notes

[1Victor Hugo et Juliette ont visité Sens les 23 et 24 octobre 1839. Hugo fait une très longue description de la cathédrale qui s’achève par le récit de l’enterrement d’un enfant et quatre vers qu’il dit avoir inscrits sur la pierre tombale : « Enfant ! que je te porte envie !/ Ta barque neuve échoue au port./ Qu’as-tu donc fait pour que ta vie / Ait si tôt mérité la mort ? ». Ces vers seront publiés dans Toute la Lyre (III, 22).

[2Poème daté du 26 octobre 1839, « Louis, je te connais. Quoi que dise l’envie… », Océan vers.

[3Étape du voyage que Hugo et Juliette feront en septembre et octobre 1840.

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