Guernesey, 6 décembre 1855, lundi midi
J’espère, mon cher petit homme, que tu ne me retrancheras pas mon vendredi demain ? À cette condition je te permets de bâfrera et de Télékiner [1] aujourd’hui à gorge déployée. S’il te reste un peu de temps et de bonne humeur, tu seras bien gentil de me le donner d’ici-là pour m’en faire un peu de joie. Quant aux logis, il faudrait avoir le courage de prendre une bonne demie journée tout entière pour les chercher et pour les voir [2]. Autrement, c’est une quasi peine perdue que de se mettre en campagne à la nuit tombante. Du reste, rien ne presserait si ce n’était la gêne que cela te cause pour ton travail. Tout à l’heure la pauvre petite Mme Préveraud me remerciait en pleurant de l’aide que je lui avais apportée dans tous les tristes embarras qui venaient de l’assaillir [3]. Elle s’en exagère l’importance car c’est Suzanne seule qui a été la CHENILLE OUVRIÈRE dans toutes ces allées et venues. Quant à moi, j’ai dû me borner, par obéissance à tes ordres, à n’être qu’une consolatrice inactive. J’espère pour ces bonnes petites gens que leur frère et leur sœur arriveront samedi. Jusque-là il est bon que notre présence soutienne leur courage.
Dites-donc, vieux chinois, tâchez de revenir tout de suite quitte à laisser languir un peu vos CORRESPONDANTES. Pouah, quelle fumée ! c’est à se sauver d’un bond jusqu’au plus haut du plus HAUTEVILLE... HOUSE [4]. Baisez-moi bien vite et revenez encore plus vite. Je vous aime qu’on vous dit.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 392-393
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « baffrer ».
b) « apporté ».