Guernesey, 25 novembre 1861, lundi, 8 h. ½ du matin
Bonjour, mon cher bien aimé, bonjour de tout mon cœur et de toute mon âme, quoique je n’aie pas encore pu parvenir à t’entrevoir ce matin. Je sais que tu es levé depuis longtemps déjà et j’espère que tu vas bien et que tu as passé une bonne nuit malgré ta préoccupation de la pauvre Chougna. Tu paraissais si triste et si absorbé hier au soir du sort malheureusement presque inévitable de cette pauvre bête, que tous mes efforts n’ont pu t’en distraire. Je comprends tes scrupules et tes regrets, mon pauvre adoré, et je voudrais pour beaucoup que le vétérinaire trouve une autre solution que celle qu’il propose jusqu’à présent, pour te tranquilliser, à l’endroit de cette pauvre bête, sans nuire à la sécurité générale de ta maison [1]. En attendant, tu as fait une autre bonne action qui, dans l’échelle des êtres doit l’emporter de beaucoup sur la condamnation de la pauvre Chougna. Laisser tuer un chien qui peut être nuisible ou venir au secours de pauvres petits enfants qui meurent de faim et qui seront peut être un jour des hommes utiles à d’autres hommes doit peser dans la balance du bien plus que la condamnation d’un pauvre chien galeux dans la balance du mal. Tu sais cela mieux que moi et bien autre chose encore mais ce que tu ne sais pas, ce que tu ne sauras peut être jamais, c’est à quel point je t’aime, mon Victor adoré. Sois béni.
BnF, Mss, NAF 16382, f. 161
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette