Guernesey, 26 mars 1862, 7 h. du m[atin]
Bonjour, mon grand adoré, bonjour avec tous les amours, toutes les admirations et toutes les tendresses, bonjour. Quelle soirée, quelle lecture et quel livre, mon cher adoré ! Il faudrait un autre toi-même pour te louer dignement, le cœur et l’âme n’y suffisent pas il faudrait encore ton génie. On dirait que toute l’électricité sublime de ton style s’est répandue dans l’atmosphère au fur et à mesure que tu lisais ce foudroyant livre : Waterloo ! Car ce matin avant six heures le tonnerre éclatait à grand bruit et les éclairs s’appelaient d’un bout à l’autre de l’horizon comme si la bataille voulait recommencer au ciel. Ô mon cher bien-aimé, que c’est beau, que c’est grand, que c’est divinement impartial cette histoire de Waterloo ! Et comme le dit très bien Kesler, celui qui a gagné la bataille ce n’est ni Napoléon, ni Blücher, ni Wellington, ni Cambronne, c’est toi ! La France qui perd ce jour-là Napoléon gagne Victor Hugo. Elle doit du retour à Dieu et ce n’est pas trop de la reconnaissance de l’humanité toute entière pour le payer. Mon bien-aimé, pardonne-moi tout ce que je te dis là dans l’ivresse et l’étourdissement de mon admiration. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16383, f. 76
Transcription de Marie Legret assistée de Florence Naugrette