Paris, 23 février 1882, jeudi matin, 8 h.
Quelle nuit, mon pauvre bien-aimé, pour toi et pour moi ! J’en suis si fatiguée que je n’ai plus la force de m’en plaindre : encore si j’étais seule à souffrir, mon mal en diminuerait d’autant ; mais il s’augmente du tien, ce qui m’est doublement pénible. Au train où nous y allons tous les deux je pressens que nous n’en avons pas pour longtemps, surtout avec ton système de laisser faire Dame Nature qui me paraît, en ce qui me concerne du moins, s’intéresser très peu à moi. Cela étant, il n’y a pas de raison pour que je remonte le courant à bout de bras à moi toute seule. Aussi je me résigne de la moins mauvaise grâce possible à faire ma dernière étape. Pourvu que je devance la tienne, c’est tout ce que je demande à Dieu et j’espère qu’il m’exaucera.
Ernest Lefèvre m’écrit qu’il ne viendra pas ce soir, son médecin le lui défendant absolument. J’ai dû inviter Lesclide pour le remplacer afin de n’être pas treize ce soir. Ai-je bien fait mon maître [1] ? Réponds si tu veux et blâme-moi si tu l’osesa [2].
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 7
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]
a) « ose ».