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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 mars 1849

29 mars [1849], jeudi matin, 7 h.

Bonjour, mon cher amour, bonjour. J’ai bien regretté hier toute la soirée d’avoir cédé à l’invitation de ces deux bonnes gens, M. Vilain et Eugénie, parce que je craignais que tu vinsses pendant ce temps-là et de manquer l’occasion de te voir. Mes craintes ne se sont pas réalisées, mais j’ai gagné un enrouement et un mal de gorge atroce que j’attribue à l’humidité et au froid. Du reste je ne me suis pas amusée. D’une part la préoccupationa de savoir si tu ne viendrais pas chez moi pendant mon absence, d’autre part une véritable indisposition qui m’a prise tout à coup, font que le spectacle m’a peu récréée [1]. Je suis rentrée à 11 h. ¾. Je m’empresse de te dire que nous étions aux premières logesb découvertes, c’est-à-dire au troisième au-dessus de l’entresol. Je n’avais pas voulu qu’on prît des places plus aristocratiques pour épargner la bourse de M. Vilain et aussi pour ne pas étaler nos toilettes plus que négligées. Voilà, mon cher amour, la débauche que je me suis permise en ton absence. La main sur la conscience, je trouve que le jeu n’en vaut pas la chandelle et que j’aurais mieux fait de rester au coin de mon feu à penser à toi, à t’aimer, à te regretter et à te désirer. Il est vrai de dire encore que je le savais d’avance et que c’est plus pour ne pas désobliger Eugénie et M. Vilain que j’ai accepté leur offre, que pour l’attrait du spectacle. Mais toi, mon Toto, à quelle heure es-tu rentré chez toi ? Dans quel état et par quel temps ? Comment vas-tu ce matin et quand te verrai-je ? Voilà ce qui m’intéresse plus que tout au monde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 73-74
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « préocupation ».
b) « loge ».


29 mars [1849], jeudi midi

Je suis décidément prise par la gorge après l’avoir été par les pieds, mon cher petit homme. Ma carcasse semble être un dépôt de toutes sortes de vilains maux ridicules et ennuyeuxa. À peine ai-je fini avec un qu’un autre recommence et toujours de même, c’est fastidieux et embêtant au dernier point.
Le triste de toutes ces indispositions, c’est qu’elles m’empêchent le plus souvent de t’accompagner comme aujourd’hui par exemple. Je sens que, malgré tout le désir et tout le besoin que j’ai de te voir et de te parler, je ne pourrai pas te conduire. J’ai la fièvre un peu, je suis courbaturée et la tête comme une cloche mise en branle. Il faut donc, bon gré mal gré, que je reste chez moi à cracher sur mes tisons et à faire triste figure au plus triste des jeux de l’amour et du hasard. Mais aussi dès que je serai en état et que j’aurai une belle figure, quelle revanche je prendrai. Je veux que ce soit effrayant. En attendant je me résigne comme je peux et je viens de te copier la prescription du médecin pour la joindre à la petite capsule qu’ilb m’a envoyée hier pour toi par Eugénie. Maintenant je serai plus tranquille. Je saurai que tu as de quoi attendre M. Louis le cas échéant. Cependant j’espère que tu n’auras pas besoin de te servir de ce remède, mais enfin trop de précaution ne nuit pas en pareille circonstance. Mon Toto, je vous aime, je suis toute triste et toute abattue, mais je vous adore, tenez-vous le pour dit et aimez-moi un peu pour la peine.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 75-76
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « ennuieux ».
b) « le médecin » rayé.

Notes

[1La veille, Juliette Drouet a assisté à la représentation de La Jeunesse des Mousquetaires, pièce en quatorze tableaux d’Alexandre Dumas, jouée au Théâtre-Historique.

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