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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mars 1849

28 mars [1849], mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour. Je suis consternée en voyant le temps qu’il fait, parce que j’ai prêté mon parapluie hier au soir à Eugénie qui était venue me voir et qui, malade, ne pouvait pas s’en aller sous la pluie sans parapluie. Maintenant comment ferai-je pour t’accompagner ? dans le cas où mon pied me le permettrait, car pour le moment je peux à peine le poser à terre, mais encore comment feras-tu, toi, mon pauvre amour adoré, s’il pleut et si tu n’as pas de parapluie chez toi ? Tout cela me tourmente on ne peut pas davantage. Si Eugénie pouvait en venant chercher des logements aujourd’hui me le rapporter d’assez bonne heure pour que je l’aie à l’heure où tu iras à l’Assemblée. Mais souffrante comme elle est et à cette distance de chez elle ici, il n’y a pas beaucoup à y compter. Décidément je n’ai pas de chance. Depuis ce matin, on entasse infection sur infection dans ma maison pour tâcher d’emporter celle qui y est à l’état chronique. De tous ces essais il n’y a que ma pauvre tête qui en profite par une migraine effroyable. Je voudrais que la maison, le propriétaire et moi fussions à tous les diables. Vrai je suis exaspérée et prête à tout, excepté à ne plus t’aimer.
Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 67-68
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse


28 mars [1849], mercredi après-midi, 1 h.

Je suis décidément trop boiteuse, mon petit homme, et trop blaireuse pour essayer de te conduire aujourd’hui. Je n’ai pas besoin de te dire si je rage et si je donne à tous les diables mon pied et le remède infernal qui ne le guérit pas du tout, au contraire [1]. Ce matin j’ai essayé d’enlever cette grosse peau noire, mais je n’ai réussi qu’à moitié. Cependant il me semble que je suis un peu soulagée. J’espère que je pourrai enlever le reste demain et sortir avec toi. En attendant, je m’impatiente et je bisque de toutes mes forces. J’ai écrit pendant près de deux heures l’histoire de ce pauvre petit Robert [2]. Au fur et à mesure que j’apprendrai quelque autre chose d’intéressant, je l’ajouterai à ces aventures, mais il faudrait m’encourager par une rétribution un peu plus grosse que dix centimes, sinon je garderai mes renseignements et ma rédaction pour moi. Il faudra que vous me rendiez mes sept sous plus vite que ça. D’ailleurs j’en ai besoin pour finir mon mois, sans cela je serais à DÉCOUVERT, ce qui nea serait pas prudent par la température sibérienne qui court. Baisez-moi et taisez-vous et aimez-moi.
Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 69-70
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « ce qui serait pas ».


28 mars [1849], mercredi après-midi, 4 h. ½

Ah ! Vous croyez laisser chez elle indéfiniment une malheureuse femme toute seule, comme un chien, monsieur le représentant, et vous croyez qu’elle y restera ? Plus souvent, à ben vouiche, venez y voir plus tôt, et vous saurez comment une Juju prend la poudre d’escampette et s’en va voir au Théâtre-Historique si elle y est. À dater de ce soir je m’insurge et je prends la clef des champs et le passe-partout des farces et autresa lieux où on s’amuse. Si vous voulez courir après moi vous le pouvez, je ne vous en empêche pas, ni le sieur Vilain, ni Eugénie non plus. Donc je suis, ou plutôt je serai tout à l’heure en société des mousquetaires [3]. Si cela vous dérange j’en suis fâchée, mais ce sera chaque fois que vous me laisserez siffler la linotte [4] la même chose. Si vous voulez que je reste chez moi gardez-moi à vue, sinon je décampe en murmurant : je reviendrai.

11 h. ou à ménuit

Sur ce baisez-moi si vous l’osez et faites votre bouche en bâton de chaise aux belles dames de la HAUTE, moi je guigne les mousquetaires.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 71-72
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « autre ».

Notes

[1Juliette se remet d’une longue crise de goutte.

[2Durant les insurrections de février 1848, Juliette Drouet a recueilli ses impressions, ses observations, ainsi qu’un grand nombre de témoignages. Ces souvenirs ont été réunis dans un recueil par Gérard Pouchain en 2006 (voir bibliographie). On peut y lire l’histoire du petit duc de Chartres, Robert, amené mystérieusement chez Mme Sauvageot, le soir du 24 février 1848.

[3La Jeunesse des Mousquetaires, pièce en quatorze tableaux d’Alexandre Dumas, est jouée ce soir-là au Théâtre-Historique.

[4Siffler la linotte : Attendre dans la rue.

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