Samedi, 1 h. ½ après midi [1]
Mon cher petit homme, ne t’inquiète pas si tu me trouves aujourd’hui un peu plus souffrante qu’à l’ordinaire. Ce que je ressens n’étant qu’un grand frisson accompagné de douleurs intérieures, je vais essayer de me mettre au lit après l’avoir fait convenablement bassiner. J’attendrai cependant jusqu’à 2 h. après midi, heure accordée à Manière pour venir ou pour envoyer chez moi.
Mon cher bien-aimé, l’expression de tristesse et de découragement profondément expriméea par toi devant moi hier au soir, m’inquiète au dernier point. Je ne sais que résoudre. Je demande à Dieu un bon conseil, j’en demande à mon amour pour toi. Je suis capable du plus grand sacrifice pour t’épargner un seul chagrin, un seul regret. J’ai du courage pour tout, excepté pour ta souffrance. Ma vie, ma joie, mon amour, mon Victor ! Tu souffres donc ? Tu es bien fatigué ? Le fardeau que tu as si généreusement soulevé te pèseb ? Tu en sens le poidsc maintenant ? Tu crains de le laisser retomber sur moi, qu’il ne m’écrase. Tu te dévoues à cette seule crainte, mais moi je ne dois pas accepter un dévouement qui te coûte le repos, la santé et même le bonheur, car depuis quelque temps je m’aperçois bien que tu n’es pas heureux. Tu me l’as dit plusieurs fois. Et quand même tu ne me l’aurais pas dit, je l’aurais deviné à la tristesse empreinte dans toute ta personne.
Mon bien-aimé, mon ange, mon adoré, que dois-je faire ? Pour que tu sois tranquille et heureux, dis ? Je ferai tout sans exception.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16322, f. 265-266
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « exprimé ».
b) « pèses ».
c) « poid ».