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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 juin [1837], vendredi matin, 1 h. ¼ après midia.

Cher petit homme bien aimé, je suis très geaie. J’ai du bonheur plein mon cœur et du rire plein ma GEULE. Je suis si heureuse quand vous daignez me donner vos pieds à tenir pendant une matinée. C’est plus doux que ceux du bon Dieu lui-même, en supposant qu’il les donne quelquefoisb à toucher [à] ses ferventes dévotes. J’aurais bien envie de vous dire toutes sortes de belles choses, mais je sais d’avance que mon admiration passant par le bec de ma plume se transformera en grotesque hurlement qui vous fera hausser les épaules et boucher vos jolies petites oreilles. J’aime mieux m’en tenir à l’expression toute simple de mon amour. C’est un légume qu’aucune sauce ne peut gâter, n’en déplaise à M. SOULIÉ [1]. Ainsi, un je THÊME du fond de l’âme, et plus ravissant et plus savoureux qu’un autre je t’aime venu à grand renfort de fumier grammatical. C’est pourquoi j’ai tant de confiance dans mon amour et si peu dans mon esprit. J’ose bien te dire que je t’aime mais je n’ose pas te dire que je t’admire quoique cela soit aussi vrai que l’autre chose.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 351-352
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Ces deux mots sont ajoutés après coup.
b) « quelques fois ».


30 juin [1837], vendredi soir, 8 h. ¾

Cette fois, mon pauvre ange, je me livre à toute mon impatience, qu’il me serait impossible d’ailleurs de retenir. Je voudrais savoir si tu as vu M. Louis, et ce qu’il pense de notre chère petit ange, de notre belle petite fille [2]. D’un autre côté, je sens bien que toute ta sollicitude et tous tes soins comme tous tes instants doivent être donnés à cette chère petite femme qui se mêle déjà de souffrir comme si la vie n’était pas assez longue sans cela. Je ne me fâche pas de t’attendre, et pourvu que je sache que j’ai un petit coin de ton âme dans lequel tu me permets de loger touta entière quoique à l’étroit, je suis résignée, et j’aurai la patience d’attendre que ma chère petite Dédé n’ait plus aucun vilain bobo sur sa jolie petite personne. En attendant je vais être bien malheureuse et bien tourmentée jusqu’à ce que je t’aie revu. Tâche que ce soit tantôt, car je n’exagère pas en te disant que je suis tourmentée et malheureuse. Je t’aime tant et j’aime tant tes autres petits Toi, qu’au moindre petit mal dont vous êtes atteints les uns et les autres je souffre plus que vous-mêmes. À bientôt et avec de bonnes nouvelles, j’espère. Que ce bientôt me paraît long et que je voudrais n’être qu’une âme sans corps pour ne te quitter jamais, surtout dans des circonstances comme celle-ci. Je t’aime mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 353-354
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


a) « toute ».


30 juin [1837], vendredi soir, 11 h ¼

Je suis sur des charbons ardents. Qu’est-il donc survenu mon Dieu à cette pauvre petite bien-aimée [3] ? Je fais toutes sortes de mauvaises suppositions qui ne sont pas faites pour me calmer. Il me semble que sans des raisons impérieuses tu ne me laisserais pas dans cette inquiétude mortelle, ce qui redouble mon inquiétude. J’écoute tous les bruits et tous les pas de la rue, croyant enfin y surprendre les tiens, mais rien ne s’arrête et je continue de me tourmenter comme si j’avais la certitude que la chère petite malade est en danger. Et puis comme je ne peux pas supporter la pensée que tu souffres ou que tu sois tristea. On ouvre la porte. Si c’était toi, mon Dieu, avec de bonnes nouvelles, quelle joie ! Mais non. Si, si c’est toi, oh ! mon Dieu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16330, f. 355-356
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein


a) La phrase reste en suspens.

Notes

[1Il s’agit probablement de Frédéric Soulié (1800-1847), romancier, dramaturge, critique et journaliste considéré comme l’un des plus grands feuilletonistes de la monarchie de Juillet. Il obtint une grande renommée notamment pour son roman Les Mémoires du Diable (1837) et au théâtre pour le drame La Closerie des genêts (1846) dont le succès fut colossal. – L’allusion de Juliette reste à élucider, mais étant donné que Soulié publiera le chapitre « Restaurants et gargotes » dans l’ouvrage collectif La Grande ville. Nouveau tableau de Paris (1843, t. 2, p. 5-24), on peut supposer qu’il était gastronome.

[2Juliette parle de la petite Adèle, qui aura huit ans fin juillet. Sa maladie, jugée grave, durera jusqu’en août. Le 17 juillet, Hugo précisera dans une lettre à son oncle qu’il s’agit d’une « fièvre cérébrale laquelle s’est transformée en fièvre typhoïde ». Hugo attendra la guérison de sa fille pour entreprendre son voyage annuel avec Juliette.

[3Juliette parle de la petite Adèle, qui aura huit ans fin juillet (voir la lettre du matin). Sa maladie, jugée grave, durera jusqu’en août. Le 17 juillet, Hugo précisera dans une lettre à son oncle qu’il s’agit d’une « fièvre cérébrale laquelle s’est transformée en fièvre typhoïde ». Hugo attendra la guérison de sa fille pour entreprendre son voyage annuel avec Juliette.

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