Paris, 27 janvier [18]79, lundi matin, 7 h.
Cher bien-aimé, j’espère que tu as passé une bonne nuit. J’attends que Mariette me le confirme pour m’en réjouir avec certitude ; puissé-jea n’avoir aucune déception de ce côté-là. En attendant je regarde passer les petites filles qui se rendent à l’école. En voici une qui peut à peine marcher seule et qui a déjà l’allure et le jabotage d’une femme savante. J’ai aussi distribué à la piperette du jour [1] à mes indigents ailés toutes les petites croûtes et toutes les grosses miettes tombées hier soir de notre dîner. Il faut les voir arriver en foule maintenant qu’ils ont pris confiance en moi ! Que de joie pour un si mince bienfait ! Celle de l’heureux gagnant du gros lot n’est qu’une maussaderie comparée à la leur. Leur famine, d’ailleurs, ne sera pas de longue durée à en juger d’après la douceur de la température ce matin. Ce n’est pas le moment de te faire souvenir que tu as un tas de lettres et de livres arriérés puisque tu es en pleine préoccupationb d’amnistie [2] et de Sénat et je ne t’en parle que pour mémoire. Je te fais souvenir aussi que tu as reçu quatre-vingtsc francs en or de Mme Lockroy hier pour payer les deux notes qu’elle doit à M. Corbin. Enfin, dernier des derniers MEMENTO, n’oublie pas de m’aimer de tout ton cher grand cœur, moi qui t’adore à perte de ciel.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 28
Transcription de Chantal Brière
a) « puissai-je ».
b) « préocupation ».
c) « quatre-vingt ».