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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 mars 1845

29 mars [1845], samedi soir, 10 h. ½

J’ai fini de copire, mon petit Toto, et je vous gribouille ces quatre pages de tendresse pour me refaire le cœur. J’espère que vous n’aurez pas le front ce soir de ne pas venir en sortant de chez votre roi [1] ? Oh ! pour le coup, je me fâcherais tout rouge et vous verriez alors de quel boisa se chauffe une Juju qui ne se connaît plus. Clairette lit le livre de M. Karr [2]. Moi, j’irai me coucher dès que je t’aurai écrit. Ce vilain rhume me fatigue horriblement. Il est bientôt temps que le beau temps vienne me ravigoterb. Cet hiver si long et le déménagement m’ont beaucoup fatiguée. Je sens que j’ai besoin de soleil ou plutôtc que j’ai besoin d’amour, ce qui est la même chose pour moi. Je ne sais pas si tu seras disposé à reluire pour moi. Le soleil reluit pour tout le monde [3]. Vous, vous faites une exception en ma faveur. Merci, je m’en passerais bien et j’aimerais mieux être comprise dans le commun des martyrs que vous éblouissez et que vous brûlez de vos rayons.
Du reste, cela m’a l’air d’être stupide ce que je vous dis là. Je suis sûre même de ne pas me tromper. C’est une remarque que je pourrais faire à tous les mots que je dis ou que j’écris. Je ne vois pas pourquoi je choisis cette phrase entre toutes les autres pour lui dire cette dure vérité. D’ailleurs je n’ai pas besoin d’esprit, qu’est-ce que tu en ferais, mon Dieu ? Je n’ai besoin que de t’aimer et de ce côté-là, je ne crains ni esprit, ni génie, ni quoi que ce soit au monde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 241-242
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « quelle bois ».
b) « ravigotter ».
c) « plus tôt ».


29 mars [1845], samedi matin, 11 h. ¾a

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour, mon charmant petit Toto, bonjour. Tu n’es pas revenu cette nuit malgré mes prières, malgré ta promesse. Il paraît que c’est un parti pris, tu ne veux pas me déranger. Je comprends tes scrupules mais j’en souffre très sérieusement, mon Toto, et j’aimerais mieux être dérangée que de ne pas te voir. Si tu pouvais vaincre ta délicatesse à ce sujet, tu me ferais bien plaisir. Penses-y, mon Toto, et ne m’impose pas une torture sous prétexte de m’épargner un malaise.
Je viens de voir la mère Lanvin plus ébouriffée et plus épouffée [4] que jamais à l’endroit de M. Pradier. Il paraît qu’il va prendre une gouvernante de 22 ans aux appointements de 4000 francs !!! pour sa seule petite fille dernière [5]. L’aînée, jusqu’à présent, doit entrer chez Mme Marre [6]. Tu penses avec le caractère de M. Pradier tout ce qu’on se croit en droit de supposer et de penser. Quant à moi, tout cela ne m’étonne pas et je m’étonne qu’on s’en étonne. Mon seul souci dans tout cela c’est ma fille. Quant à M. Pradier, je voudrais n’en jamais entendre parler. Cet homme est tellement stupide et tellement mal famé, qu’on ne peut pas y arrêter sa pensée sans dégoût. Quelle différence de lui à toi, mon Dieu ! La différence des vers du fumier à l’aigle. Je t’aime, mon Victor.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 243-244
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) Des chiffres « 1, 2, 3, 4 » ont été rajoutés sur le manuscrit en haut de chaque page par une main différente de celle de Juliette.

Notes

[2S’agit-il des Guêpes, d’Alphonse Karr ?

[3Juliette détourne le proverbe « Le soleil luit pour tout le monde ».

[4Épouffé : « Sottement empressé, plein d’une hâte qui n’est pas justifiée » (Larousse).

[5James Pradier engage Adeline Chômat, jeune femme de 22 ans, pour l’éducation de Thérèse Pradier.

[6Charlotte Pradier entre dans la même pension que Claire à Saint-Mandé le 31 mars 1845.

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