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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 mars 1845

20 mars [1845], jeudi matin, 11 h. ½

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, mon cher petit gendarme, comment va le rhume de cerveau ? Quant au mien, il est prodigieux. Je ne sais par quel bout me prendre. Je tousse, je mouche, je pleure, je geins, tout cela à la fois. Mais toi, mon pauvre amour, comment vas-tu ce matin, mon pauvre adoré ? Est-ce que tu as encore travaillé en rentrant chez toi cette nuit ? Ce serait plus que du courage, ce serait de la férocité pour toi-même. Je ne veux pas le croire, car cela n’est pas vraisemblable. J’aime mieux supposer que tu t’es couché tout de suite et que tu as bien dormi tout le reste de la nuit.
Cher bien-aimé adoré, je veux toujours me conduire d’après tes conseils, même quand ils sont en opposition avec mes propres idées. J’écrirai donc à ma fille tout à l’heure et dans le sens que tu m’as indiqué. Je désire que cette lettre ait le résultat que tu en attends, mais j’en doute. La nature ne se modifie pas à dix-huit ans, surtout quand il s’agit du cœur. Enfin je ferai ce que tu veux.
J’ai envoyé chercher du bois ce matin, il est rentré et arrangé. J’ai là une lettre de Mlle Féau. Je t’attends pour l’ouvrir. Il faudra que tu me dises ce qu’il faut que je réponde à mon beau-frère pour M. Al [1].
Cher petit bien-aimé, nous avons passé une bonne petite soirée hier malgré nos rhumes respectifs et nos maux de gorgesa hideux. Je serais bien heureuse si je pouvais la recommencer ce soir aux mêmes conditions. Cela n’est pas probable malheureusement. Tout ce que je puis raisonnablement espérer, c’est de te voir un moment tantôt avant que tu ailles à l’Académie. À quelque heure que ce soit, mon adoré, tu es sûr de me rendre bien heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 205-206
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « maux de gorge ».


20 mars [1845], jeudi après-midi, 4 h. ½

Tu as raison toujours, mon bien-aimé, je le reconnais et même je le sais d’avance. Quand je résiste à tes bonnes inspirations, c’est que ma méchante nature a le dessus. D’ailleurs, il y a des choses qu’une mère ne doit jamais laisser voira et je reconnais que j’ai le plus grand tort de mettre à nu devant toi tous les doutes et toutes les craintes qui m’occupent sur cette enfant. Toutes les mères en sont là, seulement elles ont le bon esprit de ne le laisser voir qu’à Dieu. Il est vrai, mon adoré, que tu es le bon Dieu réel pour moi et qu’à ce titre, je dois tout te dire au risque de te paraître souvent ou une folle, ou une méchante mère. C’est ce que je fais avec une conscience et une sincérité souvent trop naïves. Je te remercie, mon Toto, de m’avoir fait écrire à cette chère enfant. Sa lettre, d’ailleurs, m’avait prévenue. Tu vois par le ton qui y règne que ma leçon n’avait pas fait grand effet sur son esprit. Cela te prouve que je n’y avais mis aucune amertume, ainsi que je te l’avais dit. Je suis bien malencontreuse aujourd’hui avec ma copie et Mlle Féau, mais sois tranquille, tout sera copié demain de très bonne heure. Je ne me tromperai pas non plus et je ferai bien attention à ne rien omettre.
Cher scélérat, vous avez emporté mon mouchoir de poche blanc. Il faudra que vous me le rendiez à cause de la marque. Je vous en donnerai un à vous et puis baisez-moi, mon Toto, et aimez-moi. Vous ne me baiserez jamais autant que je le désire et vous ne m’aimerez jamais autant que je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16358, f. 207-208
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « laissé voir ».

Notes

[1M. Alboize.

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