Guernesey, 4 mars 1858, jeudi soir, 4 h. ¼
Si je ne dois pas te revoir ce soir, mon trop bien-aimé, voilà une journée bien triste et bien seule pour moi : cependant je ne veux pas te faire une obligation de mon bonheur personnel et je te promets de ne pas me plaindre trop haut aujourd’hui de ma solitude dans le cas trop probable ou tu serais forcé de donner toute ta soirée au Magyar gastronome et littéraire [1]. Tu vois par ce gribouillis que je prends d’avance mon courage à deux mains trois cœurs. Ce ne sera donc pas tout à fait de ma faute si je ne parviens pas à te faire l’illusion complète d’une femme qui s’amuse autant qu’elle t’aime. Hier j’étais si heureuse d’être auprès de vous, mon cher petit homme, que je ne me suis pas aperçue que je perdais un franc CINQUANTE [2] centimes mais aujourd’hui que je suis livrée à mes réflexions, je me trouve bien imprudente pour ne pas dire plus. Oh ! Pour le coup je crois que vous voilà. Oui, je ne me trompe pas, quel bonheur !
Juliette
BnF, Mss, NAF 16379, f. 51
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette